Maisons Bethléem : l’accueil de la vie naissante
Les Maisons Bethléem, association membre de l’UDV, sont un des visages de la Diaconie du Var. Elles ont été créées en 2003 à la demande de l’évêque, Mgr Dominique Rey. L’objectif est d’apporter aux jeunes mamans et aux femmes enceintes célibataires une tentative de remède à leur situation de précarité, leur permettant ainsi d’accueillir la vie.
Dans une rue étroite et calme du vieux Toulon, une simple plaque indique le nom du lieu, « Maisons Bethléem », à côté d’une sorte de vitrine voilée par des rideaux. Véronique Gaudet, animatrice, vient ouvrir, et l’on entre dans une grande pièce chaleureuse et vivante à en juger par le nombre de jouets et de peluches qui s’approprient l’espace… Il est 10 heures du matin, les petits sont ailleurs avec leurs mamans. La vie sera plus animée en leur présence !
Bethléem, ce nom qui en hébreu signifie « la Maison du Pain », évoque bien sûr le lieu très inconfortable de la naissance de Jésus de Nazareth, voici plus de 2000 ans, dans une étable dont une toute jeune mère dut, par la force des choses et le refus des gens, se contenter. Tout près de là se trouve « la Grotte du Lait » où, selon la « Légende Dorée », se serait réfugiée la Vierge Marie lors du massacre des innocents, avant la fuite en Egypte. Endroit que depuis des siècles, les femmes vénèrent pour devenir de bonnes mères nourricières.
Bethléem, c’est donc tout un programme pour ce lieu qui respire le calme et la tendresse, un lieu où, en arrivant de nulle part on doit pouvoir dire : enfin !
« Petit enfant qui vas venir, ne crains rien.
Cramponne-toi comme je me cramponne… ».
Poème anonyme, tiré de « Mes plus belles prières », du Père Guy Gilbert.
Qui sont ces mamans dans la détresse ?
« Quand ces jeunes femmes arrivent chez nous, c’est qu’il n’y a plus personne pour les aider ». Un bébé qui s’annonce de façon imprévue provoque nombre de réactions dans l’entourage. Si certains parents acceptent avec beaucoup de compréhension de vivre avec leurs filles l’aventure de cette naissance inattendue, beaucoup cependant en restent à l’attitude du refus total…
Les Maisons Bethléem accueillent des jeunes femmes majeures qui, en plus de la précarité, vivent souvent dans l’insécurité. « Si tu le gardes, tu l’élèves avec ma mère ; Si tu avortes, je te tue », menace un futur père… La plupart du temps, le géniteur a disparu en apprenant la grossesse (il menait une double vie) ou bien il est en prison, et les relations familiales déjà perturbées par cette relation s’en trouvent encore plus secouées… A l’échec familial, s’ajoutent l’échec scolaire et social… La future mère n’a plus qu’une issue : la fuite.
Tous les cas sont lourds, les violences sont à craindre, des intrusions inopinées surviennent dans cette maison de Toulon où tout est fait pour rassurer, écouter, consoler et réhabiliter celles qui doivent pouvoir bénéficier elles aussi d’une existence normale.
La moyenne d’âge est de 20/22 ans, mais en ce moment une pensionnaire de 38 ans est accueillie. Elle vient de connaître beaucoup de galères, le chômage, l’abandon du compagnon et de la famille : « débrouilles-toi, tu es assez grande ! ». Pourtant elle est souriante et parle du petit garçon attendu pour février, et dont elle nous donne ses choix de prénoms : Constant, Clémentin, Aimé, Charles-Elie… Toutes choses si normales pour qui vit normalement…
Des quatre coins de France
Comment ces femmes arrivent-elles jusqu’ici ? Les accueillies viennent de tous les coins de France, car il faut s’éloigner de tout ce qui pourrait nuire à l’arrivée du bébé. Elles ont eu recours à Internet, les réseaux sociaux, tout le réseau associatif, les paroisses, le Conseil départemental… et bien sûr le bouche à oreilles. Deux sites sont également connus du grand public : www.sosbebe.org et www.jesuisenceinteleguide.org.
Avoir un logement permet d’être indépendante et cette maison est un lieu de vie sécurisant. Indépendantes, certes, dans les 5 studios de l’immeuble et les 3 autres à proximité, mais pas seules : elles vont être accompagnées par l’association pendant toute la durée de leur séjour. Des permanences quotidiennes, assurées par 6 bénévoles formées à l’écoute et une animatrice, salariée, conseillère en économie sociale et familiale, et mère de 4 enfants. Il y a également une psychothérapeute et un aumônier. Tous sont des soutiens indispensables pour élaborer un projet d’avenir, et chacun d’eux travaille dans le respect de la dignité et de la liberté des pensionnaires.
A l’accueil, dans cette salle arrangée avec goût, le café est toujours prêt. On passe, on s’arrête, on discute un peu, à bâtons rompus d’abord, et puis à cœur ouvert, car on découvre très vite la qualité du vrai partage. Véronique Gaudet, l’unique salariée de l’association, déplore la difficulté d’avoir des jeunes mamans bénévoles. Elle reconnait cependant que les conditions de vie actuelles les obligent à un rythme où il n’y a plus beaucoup de place pour un service tel que celui-ci.
Contrat d’accueil
Le contrat d’accueil est de 6 mois, pouvant aller jusqu’à 12. Cependant, avec la conjoncture actuelle, cette durée est souvent largement dépassée. Tout ce qui est attribué comme secours ou allocations met beaucoup de temps à parvenir à leurs destinataires. La recherche d’emploi et de logement, les inscriptions en crèche ou en maternelle… sans oublier toutes les formalités administratives trop souvent longues, exigeantes et fastidieuses… Tout ceci est très décourageant pour des jeunes femmes qui arrivent en état de fragilité… La plupart d’entre elles sont bénéficiaires du RSA, auquel s’ajoute la prime à la naissance et l’allocation de parent isolé. Il y a un réseau d’aide en cas de coup dur. Les naissances elles ont lieu à l’Hôpital public Sainte-Musse, où le séjour est d’environ 3 jours.
Des activités et des ateliers sont proposés aux résidentes : loisirs ou méthodes pour gérer un budget, organiser son temps, élever et éduquer son enfant, ateliers couture, cuisine, cours de français… Des temps forts sont organisés, comme la Fête des Mères et le goûter de Noël.
Sur le plan pratique, l’équipe des Maisons Bethléem a recours aux services de Bébé-Bonheur pour tout ce qui est du domaine de la puériculture, et au Lien 83 pour tout ce qui relève de l’installation des appartements.
« L’amour maternel est le seul bonheur qui dépasse ce que l’on espérait. » – Victor Hugo
« Tout perdre » pour élever son enfant
Décider de tout perdre pour élever son enfant, c’est le choix de ces femmes quelque peu « larguées » dont l’insouciance de la jeunesse a dû faire place brutalement à la maturité. Elles ont perdu pas mal de repères depuis que le fameux « test de grossesse » s’est révélé sans appel : le copain ou le compagnon, celui qui promettait tant de bonheur, les parents dont on pensait l’indulgence sans limites, les copains et les copines, surtout celles qui « savent très bien se débrouiller pour ne pas se faire avoir » et qui n’ont pas compris. Et puis tous les autres, les collègues, les voisines, celle qui « n’en veut surtout pas un 3ème ». Quand elles réalisent qu’elles connaissaient plein de gens, c’est fou comme elles se sentent d’un coup toutes seules au milieu d’un grand désert…
Un jour, la violence a pris le pas sur la tendresse… et elles ont « subi » tout ce qui les violentait jusque dans les petits détails de leur existence. Et puis elles ont choisi. Entre révolte et résignation, elles ont fait courageusement le choix de la VIE. Une petite vie qui prend en vous un grand départ, voilà qui est positif, et Véronique Gaudet nous dit que jusqu’à présent aucune n’a regretté d’avoir gardé son bébé. Pourtant ce n’est pas facile d’assumer seule toute l’autorité parentale…
Pour chacune de ces jeunes mères de famille, après avoir réussi à rompre avec un passé douloureux, il faut jour après jour reprendre confiance en soi et dans les autres : si l’occasion se présente d’une vie de couple solide, comment vivront-elles cette nouvelle relation ? Les Maisons Bethléem essaient de faire le maximum pour qu’elles se sentent libres tout en étant soutenues et pour que le lien mère-enfant soit indestructible.
« Doublement pauvres sont les femmes qui subissent des situations d’exclusion, de mauvais traitements et des violences, car elles sont souvent moins capables de défendre leurs droits. Malgré cela, nous assistons constamment parmi elles à des exemples impressionnants d’héroïsme quotidien dans la défense et la protection de leurs familles vulnérables ». Pape François
La situation des mères isolées existe depuis l’Antiquité et l’on peut dire que son évolution s’est montrée plus que lente. La Grèce et Rome supprimaient tous ces enfants supposés devenir des charges inutiles et gardaient les plus solides pour en faire des esclaves. En Egypte, le Nil a vu passer dans des nacelles d’osier beaucoup de bébés dont les crocodiles faisaient leur affaire. Quant aux mères, il n’en était même pas question.
Au fil des siècles, hésitant entre avortement, abandon et même infanticide, les jeunes filles accouchaient presque toujours seules et dans le dénuement le plus total. Dans certaines villes, le Tour, ou « boîte à bébés » permettait un abandon discret à l’Hospice, et pour la mère, la quasi-certitude que son enfant pourrait survivre. D’où l’appellation « enfant trouvé ». Il y eut aussi des cas où ces petits « bâtards » pouvaient être vendus sur les marchés…
Une jeune mère célibataire était souvent exclue de sa famille et de la société, et sa grossesse, illégitime, était considérée comme un péché. Mettre au monde un enfant hors mariage en faisait une paria ; elle ne représentait pas plus qu’un objet de tentation et pouvait même être punie en place publique par le fouet ou le bâton. Un moyen de s’en sortir était parfois de se placer comme nourrice dans les familles de la bonne société.
Dans le courant du XIXe siècle, des œuvres comme le Bon Pasteur d’Angers se consacrèrent aux populations les plus fragiles : les femmes et les enfants. Dans un monde en pleine évolution, mettre la justice et la solidarité au service des personnes en détresse représentait un vrai défi. Dans beaucoup de villes, des « bureaux ouverts » permirent l’accès à des secours donnés par les mairies. Vers 1850, on recensait chaque année environ 130 000 enfants abandonnés et 300 infanticides connus.
A l’heure actuelle, la notion de Droit des Femmes est récente (relisons Maxence Van der Meersch, Madeleine Delbrel…), et pas encore totalement acceptée. La question reste aujourd’hui ce qu’elle était hier et l’obligation de choisir demeure cruciale pour beaucoup de jeunes filles.
En France, il existe d’autres lieux de vie comparables aux Maisons Bethléem :
le Bercail (28) – Magnificat (37) – la Tilma (56) – la Chrysalide (68) – SOS Futures mamans (54) – la Maison de Marthe et Marie (69) – la Maison de Tom Pouce (77) – Accueil Samarie (77) – Foyer St Benoît Joseph Labre (77) – Maison Amado (84) – Résidence Cécile et Marie (86) Foyer El Paso (92). Et il en faudrait encore plus !
Témoignage de Xavier Magne, président de l’association
« J’aime cette mission que le hasard (Hasard ?) a mis sur ma route : accueillir la vie, lui permettre de s’épanouir dans de bonnes conditions. Nous invitons les jeunes arrivantes à accueillir la vie qui est en elles, et au sujet de laquelle tant de personnes ont fait pression sur elles. Le simple contact avec quelqu’un qui les écoute sans a priori arrive à les conforter dans leur désir de maternité. Malheureusement, partout en France, il n’y a pas suffisamment de places et nous sommes confrontés à des choix douloureux.
Le lien mère-enfant est fort ; malgré leurs déficits d’expérience elles se débrouillent bien, Véronique (Gaudet, coordinatrice) et les bénévoles les aident au mieux à progresser. Elles sont totalement seules (y compris la nuit) pour assumer une tâche difficile même à deux. Toutes leurs histoires sont compliquées et risquent de les perturber de nouveau lorsqu’on pensera qu’elles sont tirées d’affaire.
Un exemple : une jeune femme que son compagnon a menacée de battre jusqu’à ce qu’elle avorte a fui loin de lui. A Bethléem, tout se passe bien et elle parvient à retrouver son indépendance après les mois passés ici. Puis elle rencontre un homme prêt à l’épouser et reconnaître l’enfant : c’est alors que se produit un véritable blocage. Abusée dans son enfance, abandonnée lors de sa grossesse, elle refuse que quelqu’un d’autre qu’elle s’occupe de son fils et elle casse cette nouvelle relation.
Lorsque nous aurons assez de recul, il sera intéressant de savoir comment les situations de ces femmes et de leurs enfants ont évolué : cela nous permettra peut-être aussi de faire évoluer nos méthodes de travail.
Pour ma part, je vais une fois par semaine à l’association, j’y fais surtout du travail administratif et je rends différents services.
Les Maisons Bethléem : une aventure fabuleuse dans un monde souvent indifférent à l’autre. »
Infos et contacts :
Maisons Bethléem
26, rue des Riaux
83000 TOULON
04 94 24 97 10
Adresse postale : 25, rue de la Glacière.
Pour votre information : Un CONCERT en faveur des Maisons Bethléem, organisé par le KIWANIS TOULON Iles d’Or, sera donné en l’Eglise de l’Immaculée-Conception le VENDREDI 18 NOVEMBRE à 18 heures. Au programme : LES 4 SAISONS de Vivaldi.
Par Aline RACHEBOEUF, auteure bénévole à IOTA