Les sans-abri ont de l’or dans la plume

Insertion Rendez-vous les mardis après-midi, pour participer aux ateliers d'écriture des Amis de Jéricho.

Rendez-vous les mardis après-midi, pour participer aux ateliers d’écriture des Amis de Jéricho.

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Tous les mardis après-midi, à Toulon, les Amis de Jéricho proposent un atelier d’écriture à leur public, la plupart des sans-abri. L’occasion pour eux de crayonner leur histoire, leur imaginaire et leurs aspirations. Un trésor naît d’une feuille et d’un stylo. 

Un stylo, une feuille… rien de plus banal, non ? Et pourtant, ces deux petits éléments recèlent un des trésors les plus riches qui soient.

Dans le contexte actuel en France, d’aucuns les brandissent pour combattre le terrorisme et célébrer la liberté d’expression.

Aux Amis de Jéricho, des personnes accueillies les chérissent pour désarmer la haine, l’exclusion et la bassesse de l’homme, dont leurs pages d’histoire sont chargées. Pour chanter aussi leurs partitions de vie, remplies de notes fraiches et joyeuses, de rythmes tantôt doux tantôt enjoués et de portées polyphoniques où se mêlent les sourires, les mains tendues et les paroles d’encouragement.

Un stylo, une feuille… pour une symphonie tout à la fois allegro et andante sur un air d’enfer et de paradis.

Portrait chinois

Une quinzaine d’écrivains. Chacun en face d’un stylo, d’une feuille. Les plaisanteries fusent autour de la table : il est bon de rire ensemble. On rappelle les consignes. Eteindre son portable, arriver à l’heure, ne pas couper la parole. « Sans oublier l’article 22 : démerde-toi comme tu peux », s’empresse d’ajouter Dominique.

Raymonde prend la parole. Héraut de la langue de Molière et de ses bons mots, elle anime l’atelier, tel un chef d’orchestre. « Si vous étiez un arbre, lequel seriez-vous ? Si vous étiez un oiseau, un défaut, un compliment, une ville, vous seriez quoi ? » Le silence s’installe petit à petit dans une atmosphère feutrée de travail assidu. On n’entend plus que les stylos s’agiter et les feuilles se noircir.

Raphaël, Gilles, Rachel, Philippe, Michèle, Tiphaine, Célia…

Autant d’hommes et de femmes, de tous âges, d’horizons divers, se regroupent ainsi chaque mardi. Pour exprimer librement leurs émotions, leurs joies et leurs souffrances, leurs colères et leurs émerveillements. Tout déballer pour tout évacuer.

Pourquoi pas un jour d’été, me murmurer que ma vie sera plus joyeuse et plus simple pour l’avenir de mes enfants.
Et pouvez-vous me dire pourquoi les personnes étant à la rue sont regardées de haut ou évitées par des personnes riches ou pleines aux as !
Car juste une petite phrase pour nous remonter le moral, ça serait bien !
Mais évidemment, rien. Pourquoi ?
Pouvez-vous me l’expliquer…

Delphine

Autant d’hommes et de femmes réunis pour s’évader, jeter au loin le quotidien de la rue, oublier les soucis. Faire appel à l’imagination.

Il venait un soir de fête une petite.
Elle avait des dents en or, des ongles longs.
Elle s’appelait « Cyndi ».
Je lui proposais de vivre ensemble pour un grand amour.
Je promis de lui porter des perles dans un ballon de rugby pour un long voyage au bout du monde.
On ne compte pas lorsqu’on a l’amour jusqu’au bout des doigts.
Que Dieu bénisse tout le monde !

Michel Adam

Autant d’hommes et de femmes rassemblés pour prendre leur vie en main. Cette page blanche devant eux, sur laquelle ils inscriront la suite par eux-mêmes, sans se faire dicter. Les premiers balbutiements laissent place à des fontaines de mots débordantes. La vie reprend ses lettres de noblesse. Les hommes, leur pleine stature.

Une fois par mois, l’un d’eux anime l’après-midi. Il imagine lui-même la séance. La fois dernière, Gilles a mis la main à la pâte. Le thème ? La cuisine. Les consignes de jeu ? « Primo, choisissez cinq plats que vous aimez et que vous n’aimez pas. Secondo, déclinez CUISINER en acrostiche, avec les mots que vous souhaitez. Tertio, imaginez une histoire en disséminant les plats et les mots choisis. »

De quoi faire le plein de confiance. « Être valorisées, reconnues : voilà ce dont les personnes accueillies ont le plus besoin », rappelle Raymonde. « Elles se mésestiment. Elles croient être incapables de faire quelque chose de bon. Elles disent être nulles. Non ! Elles peuvent écrire au même titre que les autres. »

Surprise !

Les yeux perlés de vive émotion, l’animatrice poursuit : « Certains composent comme on ne l’aurait jamais soupçonné. Un jour, une femme en grande souffrance, sujette à l’alcoolisme, a rédigé un vibrant poème. Une autre fois, un jeune rebelle, habituellement grossier, révélait un texte écrit à la perfection. Ouf ! La jeunesse est sauvée… Rien n’est jamais perdu. Partout, il y a de l’espoir. »

Tel est le trésor caché dans la bibliothèque des Amis de Jéricho. Un trésor affiné, poli, parfait chaque mardi, pour lui donner encore plus d’éclat. Un trésor riche en humanité, une musique pleine de promesses, un hymne à l’espérance. Et pourtant, ces hommes et ces femmes n’ont eu d’autres besoins que d’un stylo et d’une feuille.

Retrouvez ici un recueil des textes écrits à l’atelier d’écriture 

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