Var : unis pour refuser la misère

Pour la Journée mondiale du refus de la misère, samedi 17 octobre dernier, David Martin, reporter bénévole pour Iota, s’est rendu sur le parvis des Droits de l’Homme à Toulon, pour écouter la parole des « Sans-Voix ». Peu familier de la pauvreté, et encore moins de l’action sociale, il nous livre ses découvertes et ses surprises. Qu’ont-ils à dire, ces pauvres, ces exclus, ces oubliés de la société ?  Beaucoup plus qu’on ne le croit – ou du moins qu’il ne pouvait l’imaginer…

Affiche présentant les événements de la Journée mondiale du refus de la misère 2015

Affiche présentant les événements de la Journée mondiale du refus de la misère 2015

Le 17 octobre

L’histoire de cette journée débute avec le père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD Quart-Monde en 1956. Lui-même a grandi dans une extrême pauvreté, avant de prendre en mains un bidonville en Seine-Saint-Denis, monté dans l’urgence suite au fameux appel de l’hiver 54 lancé par l’Abbé Pierre. Un film, Joseph l’insoumislui a été consacré en 2011.

Le 17 octobre 1987, le père Joseph réunit plus de 100.000 personnes au Trocadéro, à Paris, pour dire non à la misère et à la pauvreté. Ils y installent, devant Simone Veil, une dalle à l’honneur des victimes de la misèreporteuse d’un message fort :

« Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré ».

Cette dalle parisienne est bien vite répliquée dans de nombreux pays.

En 1992, l’ONU reconnaît le 17 octobre « Journée internationale du refus de la misère ». Aujourd’hui, l’initiative a ainsi essaimé à travers le monde entier.

Ce 17 octobre 2015, une personne ayant connu la précarité a voulu elle-même rendre hommage au père Joseph, qu’elle a connu dans ses années de galère :

Témoignage exclusif de Claudette sur le père Wresinski qu'elle a connu

Le Comité du 17 octobre

Sous l’égide d’Armelle Chrétien, présidente du Comité du 17 octobre, plusieurs associations se réunissent pour organiser chaque année, avec les moyens du bord, cette Journée. Des associations diaconales, mais pas seulement : l’UDV, ATD Quart-Monde, le Secours Catholique, le collectif La Parole des Sans-Voix, la Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International, Archaos, Sans toit… et si c’était toi, le Lien 83…

Aux militants et bénévoles de ces associations se joignent également, au sein du comité de pilotage, quelques « figures » du bitume varois : Laurent dit Nounours, « 20 ans de pavé », Henri, « expert en galère », et d’autres. Exit le risque de ne se retrouver qu’entre professionnels de l’action sociale, qui pensent « pour » : ceux-là n’avancent pas à la même vitesse, n’ont pas la même façon de voir les choses, font parfois des étincelles – mais leur contribution est essentielle pour donner du sens à la journée et faire parler ces « Sans-Voix ».

Une partie des participants à la Journée du refus de la misère

Un copil aussi composé d’experts en « galère »

La journée s’est organisée en 2 temps :

  • Le matin à 11 heures, une prise de parole suivie d’un repas partagé sur le parvis des Droits de l’Homme à Toulon, devant la Faculté de Droit
  • Le soir à 19 heures, deux concerts solidaires sur le parvis de l’église Saint-Louis, à Toulon, avec les groupes Archaotic (mêlant sans-abris et animateurs de l’accueil de jour Archaos) et Les Sans Voix, menés par l’ex-chanteur des Garçons Bouchers, Piero Sapu, dont les textes sont composés à partir des mots des exclus.

« Mon » 17 octobre 2015 à Toulon

Arrivé en vélo, j’aperçois une scène, quelques chaises, et un public hétéroclite tout autour : des gens visiblement mobilisés par l’organisation, des badauds, des étudiants venus en cours… Et autour d’eux, des visages abîmés, des corps brisés, des esprits usés – mais l’œil brillant, joyeux, radieux d’être là. Ce seraient donc eux, les « Sans-Voix » ? Car leur physique parle pour eux – en bien, pour une fois.

Les participants sont venus écouter la parole des Sans-Voix

Un public clairsemé mais concerné a assisté à l’événement

Car la misère, « les pauvres », on en a souvent une idée négative. « C’est un sujet qui fait peur », confirme Armelle Chrétien, présidente du Comité du 17 octobre. « Cette journée est l’occasion pour ceux qu’on n’entend jamais d’exprimer leurs préoccupations », poursuit-elle aux pieds de la plaque apposée au fronton de la fac de Droit.

L'inscription sur le parvis des droits de l'Homme à Toulon

La plaque installée en 1997 sur le parvis des Droits de l’Homme à Toulon

À titre personnel, je ne connais de la misère que les gens qui mendient dans la rue (à qui je donne une pièce, quand je peux, un regard, quand je veux, un bonjour et un sourire, quand je l’ose), les reportages à la télé, 1 ou 2 livres peut-être, une discussion dans la rue ou dans ma paroisse… Autant dire pas grand-chose. Autant dire que j’ai tout à en apprendre ce matin.

Un silence lourd de sens

Le père Joseph croit que la misère n’est pas une fatalité, qu’elle est inacceptable, contraire aux droits de l’Homme, et que, puisque ce sont les Hommes qui l’ont créée, il n’y a qu’eux qui peuvent l’éradiquer.

La matinée s’ouvre ainsi par une minute de silence pour celles et ceux qui souffrent de la misère, invitant tous ceux qui la refusent la misère, ainsi que la pauvreté et la discrimination, à s’unir pour les combattre. Ce, alors qu’une loi visant à ajouter la précarité sociale aux critères de discriminationest en train d’être examinée par le parlement.

Les voix de la rue

S’ensuit une succession de témoignages, parlés, scandés, chantés, tous plus poignants les uns que les autres. Ceux, nombreux, qui n’ont pas pu ou osé venir témoigner, leur parole est relayée par les bénévoles des associations organisatrices.

Des témoignages, pour ceux qui ont osé parler, pour eux ou pour les autres, exprimant leurs soucis, leurs craintes, mais aussi leurs espoirs :

Témoignage de Claudette sur la misère
Paroles de précaires : Stéphane, sur la tutelle
Paroles de précaires : Alex, sur le logement

Mais la misère des corps et des situations peut aussi receler une grande richesse d’âme, comme en attestent les poèmes écrits par des précaires – basés tantôt sur leur propre expérience, tantôt sur celle d’autres oubliés de la société :

Poème : Henri, <em>« La vie d’un homme n’a pas de prix »</em>
Poème : William, <em>« Je veux témoigner »</em> (extraits)
Paroles de précaires / poème : Henri, <em>« Paroles de femmes »</em>

À chaque prise de parole, l’effet sur moi est saisissant.

Oui, ces gens existent, même (et surtout) ceux qui se cachent. J’entends – encore – une phrase qui me bouleverse :

« Chaque jour, dans la rue, ils regardent les gens assis en terrasse, ils ont l’odeur du café mais jamais son goût dans leur bouche ».

Le mien n’aura plus jamais la même saveur.

Oui, ces « Sans-Voix » ont des choses à dire – bien autres que « une pièce ou un ticket-restaurant, s’il vous plaît ».

Oui, il faut les écouter : c’est notre devoir de citoyens, mais surtout d’Hommes. « La vie est courte, mais les journées sont longues quand on est seule », écrivait l’Algérien Akli Tadjer dans Bel-Avenir. Je mesure soudain le poids de ces mots.

Et, au-delà, oui, il faut agir et soutenir ceux qui le font.

Car, d’après une étude de l’INSEE, la pauvreté progresse en France. Elle touche actuellement 8,7 millions de personnes, soit 14,3% de la population et près de 4 millions de ménages – un niveau jamais atteint depuis le début des années 1970. En région PACA, ce chiffre déjà effrayant est encore supérieur à la moyenne nationale.

Une ambiance festive malgré la gravité du sujet

En fin de matinée, un repas partagé permet à chacun de prolonger l’échange. Dans la joie, la convivialité, et sans non-dits.

Certain(e)s se lâchent, en pensées, en paroles, voire en actes :

Bref, un moment unique, de ceux qui invitent à repenser son regard sur la vie, le monde et celles et ceux – tou(te)s celles et ceux – qui le composent…

Par David Martin, auteur bénévole pour Iota

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