Siloë : 20 ans de présence pour soulager les souffrances psychiatriques des gens de la rue

Santé et bien être Siloë : espace de transformation du regard...

Siloë : espace de transformation du regard…

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Depuis 20 ans à Toulon, Promo Soins et l’hôpital public œuvrent de concert pour soulager les souffrances psychiatriques des gens de la rue.

Le 20 décembre dernier, dans la salle de conférences du Centre hospitalier intercommunal de Toulon/La Seyne (CHITS), une journée d’échanges était organisée à l’occasion des 20 ans de l’interface psychiatrique Siloë.

Mais pour commencer, que signifie le mot interface ?  C’est un dispositif qui permet à deux domaines différents d’avoir des rapports d’échanges réciproques tout en gardant leur nature propre.

Ce peut être aussi une personne qui assure un échange d’informations avec d’autres personnes, d’autres services.

Et pourquoi ce nom de Siloë ? Découvrez la réponse dans notre encadré :

Le bassin de Siloë est une source d’eau dans Jérusalem où les Juifs avaient coutume de se purifier en entrant dans la ville.

Dans les Évangiles, on y situe deux événements racontés, l’un par saint Luc (ch.13), l’autre par saint Jean (ch.9). Dans le premier, Jésus commente un événement accidentel récent : l’effondrement de la tour de Siloë qui a tué 18 personnes.

Dans le second, il est question d’un aveugle de naissance pour lequel les apôtres demandent qui a commis une faute pour qu’il soit ainsi affligé, et qui recouvre la vue après que, lui ayant appliqué de la boue sur les yeux, Jésus lui ait dit : « Va te laver à la piscine de Siloë ».

On ne peut expliquer le bonheur ou le malheur de l’homme par ses mérites ou ses fautes, c’est ici l’enseignement de l’Evangile.

C’est ce que Promo Soins a voulu souligner en choisissant ce nom :

Siloë désigne le lieu où s’est transformé son regard sur lui même et son environnement…
Une transformation qui, à son tour, permet à ses contemporains de voir clair sur les mécanismes d’exclusion.

« En donnant l’appellation « Siloë » à l’espace d’accueil de l’interface psychiatrique, nous voulons redire notre désir de faire de ce nouveau lieu un espace de conversion du regard : un lieu, où la parole et l’accueil se feront relais entre l’hôpital et la rue, entre la prise en charge de la souffrance mentale dans des lieux spécialisés et un contact efficace sur les lieux de précarité » explique l’association.

Siloë a été créée en 1998 par Promo Soins et le Centre hospitalier de Toulon/La Seyne pour offrir aux personnes sans domicile fixe une possibilité de soins en santé mentale. Cette journée, préparée de longue date par toute une équipe, est évoquée ci-dessous par le Directeur de Promo-Soins, José Garcia.

Autres regards : thématique et fil rouge qui a guidé la journée d’échanges

« Regards partagés, entre le CHITS et Promo Soins pour répondre aux problématiques d’accès aux soins en santé mentale des personnes sans domicile fixe.

Regards croisés, pluriels, « sur la route des regards » en « auto pack » nous avons découvert un paysage qui libère la parole, facilite l’échange, ouvre de nouveaux horizons tant aux patients qu’aux aidants…

Regards attentifs aux multiples témoignages présentés par les patients, regards admiratifs devant le courage et le chemin parcouru de leurs histoires…

Histoires partagées au croisement des regards des nombreux partenaires, accompagnateurs, pairs aidants, médiateurs santé venus témoigner.

Transformer le regard en direction de ce public particulièrement en difficulté, en « allant vers » pour permettre une nouvelle approche, faciliter ainsi leur rapprochement avec le système de soins, leur prise en charge et leur insertion sociale : tous acteurs de cette démarche initiée il y a 20 ans…

Pour finir, regards posés sur de nouvelles problématiques qui se présentent à nous : les migrants, désorientés, persécutés, échoués dans nos rues, nos accueils de jour, nos permanences en attente d’une écoute, d’un soin, d’un moment de réconfort…

Ces regards parfois lointains, hagards, changeants, transformés au fil du temps que dure leur parcours administratif, d’insertion sociale, de réponse aux besoins d’écoute, de soutien, d’apprentissage, d’intégration…».

Et voici 20 années que l’interface psychiatrique Siloë va au-devant des personnes en précarité, quand elles le désirent et à l’endroit qui leur convient. Elle est composée d’une personne détachée de l’Hôpital Sainte-Musse et d’une équipe de personnels et bénévoles de l’association Promo Soins.

Une journée riche en échanges

Dans son mot d’accueil, M. Michel Perrot, directeur du Centre Hospitalier intercommunal de Toulon/La Seyne (CHITS) a souligné d’entrée :

« l’interface Siloë permet à l’hôpital de sortir de ses murs tout en se rendant utile ».

Puis, Mme Guilaine Fouque, Présidente de Promo Soins, a rappelé que ce fut une première en France que de faire collaborer associations et hôpital, à une époque où les psychiatres se sentaient désarmés devant les gens de la rue.

Mais peu à peu, le concept de souffrance psychologique a été reconnu comme relevant de la psychiatrie et de la psychologie. Cette nouvelle approche permit alors de faire œuvrer ensemble professionnels salariés et bénévoles : cela demanda des efforts de part et d’autre.

A l’heure actuelle, ce concept n’est pas encore reconnu partout et par tous : le processus qui consiste à faire revenir les publics précaires dans le système normal de soins requiert beaucoup de temps et de doigté. De plus, il a fallu réinventer les interventions.

A nouveaux publics, nouveaux enjeux et nouvelles pratiques.

La souffrance sociale est plus grande et il faut également prendre en compte toute la question des migrants.

Dans le hall de l’hôpital,  une exposition de photos présentée par le Dr Véronique Morville nous montre des clichés saisissants où l’on découvre les moments où l’équipe entre en contact avec les personnes en situation de précarité.

Elle s’intitule « En dehors », c’est un regard sur un accompagnement thérapeutique construit à partir de « l’opportunité de l’instant ».

Puis le Dr Jean-Luc Metge, initiateur à Martigues de l’Equipe Mobile Psychiatrie et Précarité (EMPP) en 2002, a montré comment cette équipe est intégrée dans les Centres Médico-Psychologiques, et comment, sur le terrain, se rejoignent les services sociaux et médico-sociaux.

Un réseau qui travaille avec trois sous-groupes : enfance et famille, adolescents, adultes en situation de précarité.

En créant une culture commune sur une zone concernée, on arrive à dédramatiser les situations et à se coordonner autour d’elles. Une réflexion au niveau national est actuellement en cours.

Le soin en milieu clos ou « la route des regards »

Cela s’appelle « l’effet auto-pack», et c’est en 1982 qu’on le voit mentionné pour la première fois dans un article. Pratique très originale où les soins peuvent se dérouler dans une voiture, tout comme les consultations psychiatriques.

Il en ressort un grand nombre de bienfaits car soignant et soigné ne sont plus face à face mais côte à côte, et dans cette position, il est moins difficile de se confier, de parler de soi-même ; on « a le temps de prendre le temps », de créer des liens qui vont aider ensuite dans le protocole de soins… et surtout l’on n’est pas dérangé.

N’avons-nous pas, nous-même, expérimenté cela : tout en conduisant, en regardant la route, partager avec son passager, sa passagère, une conversation plus personnelle. Ou bien, une fois arrivés, prolonger l’échange dans l’habitacle sans se soucier du temps qui passe…

Le bienfait se révèle aussi dans le fait que le patient et le soignant vont dans la même direction, et que le soigné, en occupant la place du passager, peut être une aide à la conduite. L’auto-pack peut aussi être utilisé lors d’une promenade, c’est un véritable outil thérapeutique.

Partenaires et témoins à la fois

Les Amis de Jéricho, la Résidence solidaire Les Favières, Archaos, l’ANPAA (Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie) ont dit ensuite combien il est essentiel de reconnaître les patients en tant que personnes, de rencontrer des patients différents et de se projeter au-delà des difficultés et des pathologies.

Les témoignages des patients ont été forts, surtout après la projection d’un film. Le terme de rétablissement recouvre plusieurs notions : le travail, la vie de famille, la formation, l’entrée dans une équipe de professionnels…

Mme Caroline Gianinazzi, médiatrice de santé est intervenue sur cette notion de rétablissement, puis sur l’intégration de la fonction de médiatrice de santé dans une équipe.

Des souffrances particulières…

Ce sont les souffrances supportées par toutes les personnes que l’on range sous le terme de migrants, et dont les situations sont extrêmement diverses : il faut faire d’abord la différence entre les pays où la guerre est finie et ceux où le mal perdure sans qu’on parvienne à y remédier.

Il y a les victimes de répression, de violences dans leur pays, le cas des Roms de Bosnie, la situation en Ukraine, les réfugiés qui cherchent un appui, les victimes de mafieux…

Chez toutes ces personnes, le stress ne peut que continuer à les ronger puisqu’il est dans le filigrane de leur insécurité matérielle et sociale, leur illégitimité, l’incertitude de leur devenir et bien sûr de se savoir non désirés là où ils arrivent. La mission qui s’impose alors, d’accueil et d’écoute du chaos de vies dévastées, est particulièrement délicate.

« Les histoires de ces sujets sont marquées par la violence, la perte et la rupture des liens. A ces parcours vient s’ajouter la précarité sociale vécue dans le pays d’accueil qui réactualise sans cesse la question de la rupture. Ils vivent au risque constant de se retrouver « sans attaches », désarrimés, déshumanisés. »
Extrait de la Revue RHIZOME, déc.2018.

Pour les Drs François Lenfant – médecin urgentiste au CHITS – et Martine Timsit – neuropsychiatre bénévole à Promo Soins – il n’est pas facile d’établir la communication, puis la relation de confiance indispensable.

Comment connaître l’histoire du sujet ?

Parvenir à dépister les traumas vécus, en sachant que l’anxiété pathologique et la dépression feront suite au stress, et qu’il pourra s’ajouter, et des addictions de toutes sortes, et des troubles du comportement.

Les professionnels de santé doivent montrer ici des compétences aguerries, pour évaluer les conséquences du vécu sur les plans personnel, familial, et social. Il est important de travailler « ensemble », en équipe, en réseau.

C’est seulement ensuite qu’une thérapie adaptée peut être appliquée. Ce qui est encore plus difficile à réaliser chez les enfants et les adolescents dont le développement psycho-affectif et la construction de la personnalité ne sont pas achevés.

Pour Martine Timsit, ce public « a une forte pression de vie. Il a des capacités de résilience et d’endurance… ces personnes me font le don de paroles précieuses, je ne peux pas rester dans une indifférence bienveillante, je dois aussi livrer quelque chose de moi, parler de moi, ce dont un psychiatre ne parle pas d’habitude… ».

« S’il surmonte l’effroi de la mort, il s’élancera de la terre jusqu’au ciel…. Devenus un nouvel Osiris, (ceux qui ont souffert les épreuves) accèdent à un lieu où s’offre une lumière admirable. » Mozart, La Flûte enchantée

Découvrons Osiris…

Dieu et roi mythique de l’Egypte Antique, inventeur de l’agriculture et de la religion, Osiris est bienfaisant et civilisateur.

Mais il meurt noyé dans le Nil, assassiné dans un complot organisé par Seth, son frère cadet. Malgré le démembrement de son corps en 14 morceaux éparpillés dans le pays, il retrouve la vie par la puissance magique de ses sœurs Isis et Nephtys.

Le martyre d’Osiris lui vaut de gagner le monde de l’au-delà dont il devient le souverain et le juge suprême. Ranimé, il règne désormais sur le royaume des morts et sa renaissance annonce toutes les formes de renouveau possibles, tant chez les humains que sur toute la terre.

OSIRIS est une association créée à Marseille en 1999 pour accueillir et aider les personnes victimes de traumatismes induits par l’homme : tortures, viols, déplacements forcés, humiliations, massacres…

Il faut un soutien thérapeutique spécifique à ces victimes de traumatismes dits intentionnels.

Solitude, isolement, problème de langue, éloignement familial, racisme et discrimination s’ajoutent aux traumatismes subis et causes de la fuite de leur pays.

Nuit et brouillard… Le regard de l’autre reste la seule lumière plus ou moins proche dans le labyrinthe où les victimes tentent de s’orienter.

Les patients sont accueillis sans distinction d’origine culturelle, ethnique, confessionnelle, de condition sociale, d’opinion politique ou de statut juridique. Tout se fait dans une approche humaine et globale de la personne.

En guise de conclusion

Écoutons pour terminer ce qu’en dit José Garcia :

« Journée intense mais combien riche en échanges, pleine d’espoir, comme en témoigne la volonté de poursuivre ce partenariat singulier entre le CHITS et Promo Soins, mais aussi avec les autres partenaires institutionnels et associatifs présents prêts à travailler ensemble sur tous ces nouveaux défis. »

Et puis un pur moment de bonheur et de fête, le cadeau de la Chorale de l’Hôpital de Jour, qui nous a chanté entre autres « Etoile des Neiges », repris en chœur par tous les participants, main dans la main… »

Par Aline Racheboeuf, auteure-reporter bénévole pour IOTA


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