Rémy Thiollier : artisan de paix au milieu du gué

Famille et quartiers

Rémy Thiollier dirige la Maison des Frères, gîte auberge disposant de 70 lits

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Rémy Thiollier, gère la Maison des Frères, au Beausset. Il m’y accueille avec le sourire, le regard posé. Portrait d’un homme à la force tranquille.

Du soleil, des pins, des cigales et un mas tachetés de volets bleu lavande… Peuchère : joli tableau idyllique de la Provence, à faire pâlir Cézanne !

La Maison des Frères est déjà bien éveillée. Quelques enfants jouent sur la pelouse tandis que leurs parents échangent, flânent, s’embrassent. Bruits, cris et piailleries sont restés au placard. Place aux doux gazouillis de quelques oiseaux batifolant à qui mieux mieux autour d’un puits aux pierres dorées… fenêtre ouverte sur le calme et la quiétude.

Au milieu de ce tableau, coule, non pas une rivière, mais la voix limpide et claire du maître de maison, à seulement 33 ans. Son sourire franc et sincère apaise. Confiance et douceur. Voici ce que inspire Rémy, père de deux enfants, haut comme trois pommes, et dont la bonhommie encourage au relâchement.

Ses yeux bleu gris me fixent. Aucun regard de travers ni de marbre. Mais une immense espérance : les plus lourds nuages n’éclipseront jamais l’azur du ciel. Le ciel de plomb cache toujours un ciel d’aplomb…

Voyage de noces humanitaire

… Eté 2007. Rémy et Marion, tous jeunes tourtereaux, s’envolent à Santiago du Chili. Presque trois ans de service, aux allures de voyage de noces. Trois années à accompagner, entre autres, de nombreuses Péruviennes et Boliviennes, venues ici faire le ménage, pour nourrir leur famille ou payer les études du fiston. « Des critiques, on en a eu : pourquoi aller si loin, alors que la misère est sous vos yeux ? Pourtant, ça vaut le coup d’aller si loin. La distance nous a permis d’avoir un regard nouveau sur la précarité. »

Ce regard de douceur, qui relève les exclus et les laissés pour compte, Rémy l’a conservé. Le service ceint aux hanches. En 2010, à peine revenu au pays, l’ancien ambulancier frappe à la porte du Secours Catholique. Sa mission : gérer les secours à Draguignan, fortement touchée par de graves inondations. Dans le même temps, il devient bénévole à la Maison des Frères au Beausset. Dès le printemps 2011, le voici à la tête de ce « gîte auberge », entre les massifs verdoyants de la Sainte-Baume et les eaux turquoises de Bandol.

« Quand je rentre chez moi le soir et ferme la porte, je ne peux pas couper les ponts. Je ne suis pas tenu au service qu’entre mes horaires de travail. » L’évangile chevillé au corps, Rémy et sa femme infirmière sont fort investis dans leur travail, leur paroisse ainsi que dans la diaconie. « Vivre de la diaconie, c’est accomplir des petits gestes concrets au quotidien. Comme aider une mamie à traverser la route. Voir qu’elle souffre, c’est une chose. Lui tendre la main, c’en est une autre. »

SOS familles abattues !

Ce regard de compassion, toujours en éveil, Rémy le doit à un autre regard. Et non des moindres… « En 1997, j’ai assisté à mes premières JMJ (Journées mondiales de la jeunesse), à Paris. J’ai été bouleversé par Jean-Paul II. Ce papy croulant plaçait une espérance folle dans la jeunesse. Il ne parlait pas à la foule, il te parlait. En général, quand t’es ado, les adultes se méfient de toi, souvent à juste titre. Lui, il te disait : « Vous êtes mon espérance, vous êtes l’espérance de l’église ». Son message m’a stimulé. Il me travaille encore aujourd’hui. »

Pétillants. Tels sont les yeux de Rémy. Pétillants quand il évoque l’homme en blanc. Pétillant quand il parle également des familles accueillies à la Maison des Frères. Des familles certes marquées par de multiples souffrances et tribulations : séparations, handicap, expulsions, violences conjugales, etc. Mais des familles qui saisissent la chance extraordinaire, parfois la chance de leur vie, pour se poser, se reposer, s’apaiser.

« Ma fierté ? Permettre à ces familles d’aller à la plage ? Non ! Voir ces familles heureuses et détendues, oui ! Je suis frappé par leur épuisement, quand elles arrivent ici. Elles ont besoin de décompresser et de se confier, elles souffrent d’une solitude flagrante toute l’année. Elles trouvent en nos bénévoles une oreille attentive, une dose d’humanité. Elles changent au fil de leur séjour. Ça se voit sur leurs visages. Regarde cette maman… ça fait trois ans qu’elle entend parler d’ici. Enfermée entre quatre murs, elle a eu beaucoup de mal à se décider de venir. Trois ans d’efforts ! Son premier jour ici, elle est restée dans sa chambre. Son fils est venue la chercher par la main pour qu’elle sorte. Maintenant, elle ne veut plus partir. »

L’ennui : un gros mot ?

Rémy. Des étoiles brillent dans ses yeux. Son regard sémillant n’éclipse en rien une profondeur d’âme. Les yeux, fenêtres vers l’au-delà, dit-on ! Son au-delà présent, c’est le silence, l’intériorité, voire l’ennui. Ne rien faire, ça apaise, ça permet de prendre du recul. Finie la tête dans le guidon ! Il y a trois ans, deux familles découvraient la Maison des Frères. Le Secours Catholique avait financé leurs vacances. Cette année, les voilà revenus. Avec leurs propres moyens. Leur premier séjour les a reboosté, leur a permis de redonner du sens à leur vie et de retrouver un travail.

« Ça m’inquiète de voir tous ces gens qui n’ont plus la paix en eux. Je le détecte. Mon travail me donne l’occasion de leur transmettre ma paix intérieure. » La paix intérieure. Voici ce qui caractérise Rémy au mieux. Ici et maintenant. Là et hier, également. L’enfant du pays, fils de viticulteur, a vécu près de vingt ans au milieu des ceps et des grappes de raisin. « Un cadre privilégié. J’allais à l’école à pied. Dix minutes de marche entre les vignes. Mes deux tantes religieuses m’emmenaient souvent dans la nature, pour visiter une petite chapelle à 5 km de la maison. Parfois on se baladait en silence. Elles m’ont appris l’intériorité. J’ai eu une chance folle de grandir dans un climat extrêmement apaisé, calme. Le silence, quelle richesse ! »

« Voir qu’une personne souffre, c’est une chose. Lui tendre la main, c’en est une autre »

Le silence. Les heures ont filé, le cadran a tourné, le tableau a changé. Le soleil s’est couché, les enfants dorment à poings fermés. Les parents effeuillent livres et magazines, les doigts de pied en éventail, hors des draps. Rémy est rentré chez lui, pour entourer Marion et ses deux enfants. Dehors, La chaleur a disparu, les cigales se sont tues. Chut ! Plus de bruit. Le silence règne en maître et m’attire à lui. Paisiblement, je m’approche du puits, baigné de la lumière délicate de la lune. Je m’y appuie. Je ferme posément les yeux et repense à ma journée. Une brise légère effleure mes joues. Sereinement, je lâche prise à tout ce qui m’entoure. Plus rien ne me préoccupe. Impassible, dans cette atmosphère feutrée, j’entends alors, à peine perceptible, la voix balsamique de ma mère, me lisant ces quelques lignes de Saint-Exupéry, le soir contre mon lit…

« J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence. Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c’est qu’il cache un puits quelque part. »


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