« L’Horeb » : un phare dans la ténèbre carcérale

Accueillir les proches qui viennent visiter un détenu : c’est à cette mission que se consacre depuis plus de 20 ans l’association Les Amis de l’Horeb. Membre de l’Union Diaconale du Var (UDV), elle dispose d’une salle d’accueil juxtaposée au Centre pénitentiaire de Toulon La Farlède. Jour après jour, ses bénévoles tentent d’offrir une lueur d’espoir aux personnes touchées par une incarcération.

Lorsqu’on arrive devant la prison, avec sa porte close et son aspect sévère, il faut poursuivre son chemin jusqu’au bout du parking car c’est là que sont installés Les Amis de l’Horeb. Une grande salle claire et chaleureuse, des sièges, un coin enfants, des livres, un distributeur de boissons et une cinquantaine de casiers où les proches qui viennent voir un détenu déposeront sacs, clés, téléphones et autres effets personnels avant d’aller au parloir.

Là, des personnes souriantes dont le badge porte le prénom vous indiquent qu’elles sont « de la maison ». C’est une salle d’attente comme beaucoup d’autres mais dont le public vit des évènements peu habituels. Une attente toujours plus ou moins inquiète au milieu de la détresse, tel est sans doute le fond des pensées de celui ou celle qui vient voir un être cher incarcéré. Le chagrin et le désarroi ont surgi dans la vie des proches des détenus et continuent de la secouer.

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Les Amis de l’Horeb veulent être une lumière dans ce tunnel plein d’embûches. Les proches qui viennent pour la première fois cachent difficilement leur chagrin, leur honte aussi… Très peu sont agressifs mais plutôt dans le déni. « Ce n’est pas de sa faute… il a été entraîné…». Ces premières visites sont toujours difficiles tellement la découverte de l’univers carcéral est vertigineuse.

« L’Horeb » est là pour assurer la paix

Les bénévoles vont aux devants des « visiteurs », et proposent café, thé, sirop, admirent le bébé, demandent son prénom à la « grande sœur » de 4 ans… Des mots anodins en apparence mais dits avec la chaleur de la voix et du regard qui font des miracles et détendent mère, fille, sœur, épouse…

Certaines familles finissent par bien se connaître, créent des relations, partagent le même casier où elles laissent toutes leurs affaires avant d’aller au parloir, et qu’elles récupèrent à la fin de la rencontre.

On découvre qu’en prison le règlement est implacable. La famille a quelques minutes de retard sur l’horaire prévu ? La visite est refusée, le détenu regagne sa cellule, et tous sont déçus, frustrés… Un prévenu a droit à 3 parloirs par semaine, un condamné n’en a qu’un… L’attente se mesure en jours de 24 heures car il est difficile de dormir quand on ne sait rien, ni au dehors, ni au-dedans, et que l’imagination galope tous azimuts. En outre, seul le détenu peut téléphoner, et non l’inverse : là aussi, l’attente est intenable.

Le parloir, d’une durée de 45 minutes, peut être le lieu d’un grand bonheur et l’on voit les visiteurs en revenir apaisés et confiants. Ce peut être l’inverse : les familles se confient aux bénévoles : « il a maigri… il déprime… il parle d’en finir… ». Ces derniers écoutent alors ce qui se dit, quoi qu’il se dise : au retour, les familles ont parfois envie de « tout casser » et leurs nerfs risquent de craquer… Il faut pourtant tenter de préserver le calme pour qu’à la prochaine rencontre tout se passe du mieux possible !

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« Venez à moi… »

Dans la Bible, l’Horeb est la montagne de la révélation, l’endroit où l’on sait que l’on peut se ressourcer même dans la pire des désolations et le plus profond des épuisements. Et si le chemin promet d’être encore long, on y trouve des forces pour l’affronter.

C’est une mission délicate et tellement importante que de tout faire pour qu’une famille, éprouvée par l’échec de l’un des siens, puisse malgré tout conserver une cohésion, un équilibre ; Il s’agit aussi et surtout de tenter de maintenir les plus intacts possible les liens qui en unissent tous les membres, du plus jeune au plus âgé, qui tous ne comprennent pas ce qui arrive, mais pas pour les mêmes raisons.

Les peines encourues sont de longueurs très variables, mais elles sont forcément trop longues pour ceux qui s’attendent. Après 22 années d’accueil des proches visitant leurs détenus, nombreux sont celles et ceux qui doivent être reconnaissants aux Amis de l’Horeb pour tout ce qu’ils sèment et qui grandit sûrement – à leur insu – dans le cœur de ceux qu’ils rencontrent.

L’intuition fondatrice confirmée

Ainsi, l’intuition fondatrice de l’association semble confirmée par le réel. En 1994, Les Amis de l’Horeb ont été créés par la Fraternité Donum Dei, convaincue que le maintien des liens familiaux des détenus jouait un rôle primordial. Accueillir, soutenir, écouter, partager et orienter  sont les maîtres-mots de ces bénévoles hors-normes qui, jour de parloir après jour de parloir savent mesurer le désarroi des familles,  et tenir compte aussi des besoins et des désirs de leurs enfants.

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Au temps de l’ancienne prison, les familles qui venaient au parloir restaient à l’extérieur jusqu’à l’heure de la visite. Ces attentes par tous les temps ont donné naissance à « L’Horeb », sous l’impulsion de Sœur Jeannette qui loua un petit local pour recevoir les familles. Depuis lors, l’administration pénitentiaire (AP) n’a pu que constater le bien-fondé du travail entrepris.

Cet accueil est complété par un prestataire de services, GAIA, qui seconde en même temps l’AP : accueil au guichet de contrôle des autorisations de parloir, prise en charge par une animatrice des enfants de 3 à 15 ans (lecture, dessin, jeux…). Il y a également une psychologue qui rencontre les familles et fait le relai parents-enfants. Il peut y avoir des parloirs sans la mère et c’est aussi une psychologue qui accompagne l’enfant, permettant ainsi une relation père-enfant de qualité. Grâce à cela, le détenu conserve son rôle et sa place au sein de sa famille.

Une forte implication bénévole

Tout au long de la semaine, du mardi au samedi, vacances comprises, de 7h45 à 16h, 37 bénévoles (dont 4 hommes), répartis en 3 équipes, se relaient au Centre pénitentiaire. Il n’y a pas de parloir les dimanches, lundis et jours fériés. Il faut être au minimum 2 pour chaque service. Depuis peu, 2 séminaristes de La Castille viennent se joindre à l’équipe et découvrent ainsi un univers laïque. Le samedi, il y a parfois jusqu’à 175 parloirs, la salle de l’Horeb ne désemplit pas, il y a parfois des moments d’impatience et même d’énervement. Il faut veiller à tout, ouvrir l’œil et le cœur aussi.

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Les bénévoles engagés dans l’association se recrutent grâce au bouche à oreille, par l’intermédiaire des paroisses etc. Ils se réunissent régulièrement dans une salle mise à leur disposition par l’AP. La parole y est libre, on y apprend à se connaître et chacun réagit avec ce qu’il est, et partage son expérience avec les autres. Ils bénéficient également de formations ciblées, avec par exemple un membre du Clerc pour l’analyse de la pratique, l’écoute, la relation d’aide. L’UFRAMA (Union Nationale des Associations des Maisons d’Accueil), l’UDV, la FARAPEJ (Fédération des Associations de Réflexion Action Prison et Justice) et le Secours Catholique proposent également des formations.

Recevant une population très diverse, les bénévoles doivent avoir beaucoup d’imagination, trouver le petit « truc » qui donne le sourire. De temps en temps, par exemple, une manucure est proposée et les femmes sont heureuses de ce petit «moment détente » avant la visite.

Un charisme de compassion

Les bénévoles témoignent de leur présence avec beaucoup de simplicité et l’on perçoit très vite une attention pleine de compassion, de compréhension et d’amour ; Une attitude où rien ne saurait être surfait devant cette humanité malmenée. Ils sont là pour défendre la dignité humaine de ceux qui avec leur liberté ont perdu un grand pan de vie.

« Notre principal objectif est de préserver le lien familial. Nous accueillons les personnes comme elles sont, sans préjugé, ni jugement. Nous les aidons le mieux possible à effectuer les démarches de toutes sortes auxquelles leur situation les confronte souvent. La situation familiale peut devenir terriblement dramatique du fait de l’incarcération d’un père, d’un fils ou d’un compagnon. Parfois, ce que nous vivons ici est très lourd à porter, certains faits nous émeuvent terriblement… », témoignent plusieurs bénévoles.

Des visites contraignantes

Ce qu’il faut savoir, c’est que toute personne arrêtée est incarcérée dans le secteur où elle a commis le délit ou le crime, et non dans sa région d’origine. C’est pourquoi tant de familles se trouvent obligées de faire des voyages parfois longs et coûteux, ceci ajoutant encore au souci de voir un des leurs privé de liberté et pour des mois, voire des années… Ainsi, un détenu du Centre pénitentiaire vient du Canada, un autre de Belgique etc. Ici il n’y a que des hommes, les femmes sont enfermées à Marseille.

Lorsque la famille ne peut faire l’aller-retour dans la journée, elle doit trouver un point de chute pour la nuit : le domaine de la Castille, tout proche, peut l’accueillir pour un prix d’hôtellerie modique.

Ajoutons à cela qu’il faut laisser un peu d’argent au détenu, pour la location de la télévision, par exemple. Les frais s’accumulent et provoquent des tracas aux familles : certaines sont dans l’impossibilité de s’en sortir et se retrouvent dans une situation très précaire. Dans ces cas-là, il est bien évident que les familles ne peuvent pas se déplacer toutes les semaines.

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Celui qui fait l’objet d’une arrestation arrive à la prison dans la tenue qu’il portait à ce moment-là. Sa famille pourra lui apporter du linge à remettre au surveillant de la porte d’entrée en attendant le permis de visite obtenu en général en 2 à 3 semaines. Un sac « de secours » est donc préparé sur place pour chaque prévenu arrivant. Par la suite, les familles devront se conformer à la liste précise du linge qu’elles pourront apporter et entretenir : des interdictions y sont consignées comme les vêtements à capuche, fourrés, en cuir et les couleurs bleu, kaki ou camouflage.

« Chers amis, vous vivez une expérience dans laquelle le temps semble s’être arrêté, semble ne jamais finir. Mais la vraie mesure du temps n’est pas l’horloge : la vraie mesure du temps s’appelle l’espérance ».

C’est ce que les détenus de la prison de Naples ont pu entendre lors de la visite du Pape François  en mars 2015. Car entre le moment où se commet un délit, plus ou moins grave, et celui où son auteur peut commencer à se relever, le temps passe difficilement, avec son lot hétéroclite de peurs, de remords et de chagrin, de déni et de violence (contenue ou non), de désespérance aussi. L’univers carcéral est quelque chose de particulier, unique et terrible en soi, le même depuis la nuit des temps où les sociétés se sont donné la possibilité – le droit ? – de réprimer tout acte lésant leur équilibre.

Il n’en demeure pas moins que « chaque vie est sacrée, que chaque personne humaine est dotée d’une dignité inaliénable et que la société ne peut que bénéficier de la réhabilitation de ceux qui sont reconnus coupables », rappelle le Pape François.

Mais que signifie la notion de « réhabilitation » pour ceux qui, un jour, ont touché le fond et vivent l’épreuve de l’incarcération ? Comment ne pas rester prisonnier du passé autant que de la cellule ? Comment reprendre la route quand la privation de liberté vous a cloué entre quatre murs ? Récupérer peu à peu l’estime de soi pour que les autres reconnaissent votre valeur humaine et sociale, c’est cela se réhabiliter et réapprendre à VIVRE DEBOUT.

Récemment, le Pape François résumait cela en quelques mots :

« Nous n’avons pas le pouvoir de condamner notre frère qui se trompe, nous ne sommes pas au-dessus de lui, nous avons plutôt le devoir de l’accompagner dans son chemin de conversion ».

Il nous faut ainsi nous efforcer d’adopter un regard qui envisage la personne blessée, et non pas qui la dévisage. Ceci est résumé par cette phrase d’Antoine de Saint-Exupéry :

« Ce que VAUT un homme, c’est tellement CE QU’IL DEVIENT ! »                   

En guise de conclusion, nous voudrions vous partager une confidence qui donne une idée de l’abime carcéral, faite il y a bien longtemps par la maman d’un jeune homme emprisonné pour avoir poignardé sa petite amie : « Parfois, je me dis que je préfèrerais être la mère de la victime plutôt que celle de l’assassin ».

« Les portes du pénitencier bientôt vont se refermer… » (Johnny Halliday).

Le Centre Pénitentiaire de Toulon/La Farlède a ouvert en juin 2004, en remplacement de la Prison St Roch de Toulon devenue vétuste. Il compte 630 places mais il subit aussi les inconvénients de la surpopulation.

On y trouve :

  • 2 quartiers Maison d’arrêt, droite et centre (MAD et MAC) pour les détenus non encore jugés, appelés « prévenus ».
  • 1 quartier Centre de détention (CD), pour les détenus jugés, appelés « condamnés ».
  • 1 quartier de semi-liberté (QSL)
  • 1 quartier disciplinaire (QD).

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La Maison d’arrêt comporte également 2 Unités de Vie Familiale, petits appartements où le détenu (prévenu ou condamné) peut accueillir les siens pendant 6, 24, 48 ou 72 heures. Il a alors en charge l’organisation du séjour et l’achat des denrées alimentaires qu’il peut « cantiner » selon la méthode habituelle en prison.

Par Aline RACHEBOEUF, auteure bénévole pour Iota et Christophe PAREL, responsable communication de l’UDV.

Illustration tirées du « carnet de bord de la famille » publié par l’Union Nationale des Fédérations Régionales des Associations de Maisons d’Accueil de Famille et Proche de Personnes Incarcérées

Plus d’infos sur l’association : cliquez ici


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