Il était une fois au Pérou…
En février dernier, pendant deux semaines, un groupe de 14 personnes, dont 3 du Var, sont allées se former et s’immerger au Pérou pour y voir comment s’opère le développement de la population par l’action collective. Nous avons recueilli leurs témoignages et vous les partageons dans cet article.
L’homme est assis à l’accueil de la Conférence St Vincent de Paul de La Garde (Var) : il attend son colis alimentaire. Il prévient l’accueillante qu’il sera absent pendant quelques semaines car il doit aller voir sa mère qui est très âgée. La conversation s’engage, le visage de l’homme s’éclaire d’un large sourire qui va si bien avec son accent sud-américain. Il explique que sa maman vit à Lima, et le voilà qui nous parle du Pérou, son pays, avec un enthousiasme extraordinaire : un pays magnifique, des paysages uniques, voilà pour la carte postale !
Le meilleur vient ensuite : « Chez nous, il y a beaucoup de gens malheureux, très pauvres, mais on s’entend bien dans les quartiers, on se connaît, on se rend service…Ton voisin, il est comme ta famille, même si ce n’est pas ta famille… On ne passe pas à côté de quelqu’un sans le regarder, il a peut-être besoin qu’on l’aide… ».
Pendant quelques minutes, le temps s’est arrêté : cette personne accueillie, qui vit ici, en France, dans un certain état de précarité, la voilà transformée par ses propres paroles !
Des paroles qui rejoignent la relation d’un incroyable voyage au cœur même de ce que cet homme vient de nous raconter.
A la découverte du Pérou
En février dernier, pendant deux semaines, un groupe de 14 personnes est allé se former et s’immerger au Pérou pour y voir comment s’opère le développement de la population par l’action collective. Des binômes, salariés et bénévoles du Secours Catholique, venus d’un peu partout en France, et pour le Var, un trinôme constitué de Thérèse Faivre et Fathia Rezzouz (respectivement coordinatrice et animatrice à Amitiés Cité) et Isabelle Dupuis (animatrice au Secours Catholique).
Le Pérou, pays d’environ 30 millions d’habitants, est constitué de 3 bandes parallèles : la Costa Pacifica, la Cordillère des Andes et l’Amazonie. On y parle 47 langues différentes, c’est un pays multiculturel. Pour celui qui s’y rend en touriste, le dépaysement et l’émerveillement sont assurés avec le Machu Picchu, les Incas, les lamas, le peintre Hernandez, l’inimitable cuisine, les musiques envoûtantes, l’artisanat… !!
Mais c’est à bien d’autres découvertes que ce voyage a convié le groupe français ! Il a été initié par le Secours Catholique qui l’a organisé et piloté, en lien avec l’IBC, son partenaire péruvien. Créé en 1974 à Lima par le théologien Gustavo Guttierez, père de la Théologie de la Libération, et grand ami du P. Jorge Calderon, IBC forme des acteurs sociaux à « réfléchir à partir de la vie des gens pour transformer la société ».
Les membres du voyage étaient tous porteurs d’un projet semblable à ceux soutenus par IBC au Pérou et premier maillon de tout un processus : ce fameux « développement par l’action collective ». Ainsi, ils sont venus voir comment les gens se débrouillent par eux-mêmes dans un pays qui n’est plus considéré comme sous-développé mais qui demeure cependant à forte précarité. Car, là-bas, il n’existe pas d’organisation d’action sociale, pas de bénévolat organisé ni d’Etat Providence.
Chacun fait ce qu’il peut, comme il peut, avec ce qu’il a, et tous ont compris très vite que tout est difficile, voire impossible, lorsqu’on essaye d’agir seul. Dans cette population précaire du Pérou, le chacun pour soi n’existe pas. Et de plus, il faut lutter contre la corruption qui fait partie de leur vie à tous les étages.
La délégation était là-bas pour se former, et IBC y a largement pourvu, répondant aux questions essentielles qui se posent aux personnes qui sont « sur le terrain » :
- Comment mobiliser de nouvelles personnes, et re-mobiliser les personnes découragées par un sentiment d’impuissance ?
- Comment repérer un leader dans un groupe ou en dehors ?
- Comment faire passer un groupe du « je » au « nous » ?
Se former, ce n’est pas seulement recevoir des conseils, des directives, des suggestions… c’est aussi s’immerger : regarder et voir, écouter et entendre, partager et accueillir tout ce que l’autre nous montre.
Pendant deux semaines, les visites de terrain ont conforté Isabelle, Thérèse et Fathia dans cette certitude :
- Que l’humain doit passer avant toute autre préoccupation : rien ne se fera si on ne part pas des besoins, des idées et des préoccupations des personnes,
- Que la transformation sociale passe par de petites choses valorisées et non de grands projets qui dépassent ceux pour qui ils sont échafaudés. « On avance à tout petits pas, très lentement, avec précaution. »
- Que la confiance réciproque est une approche indispensable : apprendre à se connaître et à s’estimer avec et malgré les différences.
Avec ce paramètre incontournable : rien n’est jamais perdu. Il ne faut pas baisser les bras à la première difficulté ni au premier ratage.
Les visites de terrain ont été l’apport indispensable à ce voyage en immersion totale :
- Un bidonville de Lima, dans lequel une religieuse s’investit à fond auprès des enfants et de leurs familles. Entre pauvreté absolue et rage de vivre, leur situation est alarmante, leur vie est un enfer sur des terrains insalubres. Arrivés d’un peu partout en raison de l’exode rural, ils ont été progressivement chassés des lieux constructibles et se retrouvent entassés loin du centre de la capitale.
- La cantine populaire de Villa el Salvado, où des femmes font chaque jour les courses avec l’argent donné par des familles, des commerçants, l’Etat, l’Eglise…. Elles préparent ensuite des repas pour les familles des quartiers populaires. Symbole de solidarité et d’autogestion, elles ont eu la vie difficile au temps où le Sentier Lumineux (la guérilla terroriste) était au pouvoir. A la nourriture s’ajoutent maintenant des activités d’éducation pour apprendre à gérer petit à petit ce qui ressemble si peu à une vraie vie. Se rencontrer, s’émanciper entraînent une amélioration des besoins et de la santé.
- Le collectif « Je suis Bagua » qui veut garantir « à tous les peuples indigènes du Pérou le droit de disposer de leurs territoires et de leurs ressources naturelles en accord avec les termes de la constitution péruvienne. » Il est constitué de journalistes, d’avocats, d’IBC et de religieuses vivant depuis 60 ans avec les indigènes d’Amazonie. Cette région, peuplée depuis 20 000 ans, est mal connue parce que considérée comme inexistante. Depuis 2009, dans la région de Bagua, des événements ont conduit à une lutte armée entre policiers et indigènes, avec manifestations, morts et procès.
Les caractéristiques du leader
Au Pérou, ce qui marque d’entrée, c’est le fort engagement des personnes sur le projet qu’elles font vivre. Un projet dont il faut partager le sens et la vision avant même de penser organisation et logistique. Le Forum des Leaders, à Lima, consacre régulièrement une matinée au « croisement des expériences de démarche de transformation sociale ». Dans les discussions entre participants, l’importance d’une analyse politique (réflexions sur la société) apparaît, ainsi que l’analyse du contexte de l’expérience considérée.
Mais, qu’est-ce qu’un leader ? Organisateur et « missionnaire » à la fois, le leader se doit d’avoir l’envie et la capacité de transmettre, non seulement ses convictions, mais aussi son expérience dans le combat qu’il mène avec d’autres. Une forme de charisme s’impose, fait de sagesse, de foi et de bienveillance. Un leader ne juge pas car il a une capacité de discernement à voir l’Homme dans toutes ses dimensions.
Le leader refuse toute récupération politique, il est au service de ceux avec qui il s’indigne de toute situation invivable. Il est formé intégralement par IBC. Il émerge la plupart du temps du groupe local auquel il appartient.
Dans leurs bagages, Thérèse, Isabelle et Fathia ont rapporté :
- A quel point la dimension écologique rejoint la dimension de la lutte contre la pauvreté,
- Ensemble, on peut essayer, on peut innover, on peut oser. Mais il faut y croire !
- On omet de faire attention aux petites choses quand on ne veut faire que de grands projets,
- Un grand nombre de religieux sont installés au Pérou depuis très longtemps, plusieurs dizaines d’années parfois. Ils participent, avec le clergé local, à rendre l’Eglise plus juste et plus humaine, au service tous sans exception. Il y a une foi profonde chez les Péruviens pour qui être chrétien, c’est être chrétien partout et pas seulement à l’église.
- On peut profiter de la vie à partir du moment où chacun peut en profiter : cela demande un effort à chacun.
« On est dans une époque de changements et pas dans un changement d’époque »
Cette « expédition » doit maintenant avoir des suites dans le Var. Quel avenir pour les habitants du quartier de la Baume à Toulon Ouest ? Pour leur transformation progressive ?
- Qu’ils partagent une vision de ce qu’ils aimeraient pour leur cité,
- Qu’ils s’engagent après avoir pris conscience de leur capacité à agir,
- Qu’ils soient des citoyens à part entière et s’approprient l’espace public.
Rien ne pourra se faire sans communication et coordination après que les besoins des habitants aient été recensés et analysés. Il faut absolument que tous prennent conscience qu’ils peuvent être acteurs de leur vie dans leur cité, chacun avec ce qu’il est, avec ce qu’il peut entreprendre et partager avec ses voisins.
En France, nous prenons ce qu’on nous donne et ce qu’on veut bien nous proposer. Or, nous avons tort de tout attendre « d’en haut », ce qui ne donne plus forcément envie de « retrousser ses manches » et de se mettre au travail…
- Trop souvent, nous manquons de la volonté nécessaire pour combattre les préjugés et aller à la rencontre de l’autre, quel qu’il soit et tel qu’il est.
- Trop souvent, on ne voit que ce qui est négatif, mauvais, on critique sans essayer de voir ce qui est bien et améliore la vie. Les petits pas passent toujours inaperçus.
- Trop souvent, on utilise la religion pour créer des communautés fermées.
D’où la nécessité d’être moins frileux sur l’aspect économique du développement, et de prendre le temps d’une analyse sérieuse du contexte. Il faut absolument que les « acteurs » soient formés à la prise de responsabilité, de parole, à l’analyse des situations, à comprendre le fonctionnement des institutions pour faciliter l’accès aux droits. Tout cela conduira aussi à réduire les préjugés.
Dans le quartier de la Baume, il n’y a pas de services publics, et le quartier garde une mauvaise image, même s’il a été réhabilité. Les deux associations, le Secours Catholique et Amitiés Cité font ensemble un travail de rue, d’écoute et de discussion. Et l’écoute ne néglige aucune des plus petites choses.
L’intérêt du « trinôme » est évident :
- Thérèse Faivre en tant que directrice d’Amitiés Cité,
- Fathia Rezzouz, parfaite médiatrice et résidente dans le quartier du Grand Jonquet,
- Isabelle Dupuis, qui apporte formation et soutien.
Ce n’est pourtant pas le Pérou !
Le Pérou, Eldorado des colons qui, au XVIè siècle, eurent raison des richesses en or, argent et autres pierres précieuses… Il y a là-bas de vrais trésors, non monnayables, mais d’une valeur infiniment plus grande : des trésors d’humanité.
Morceaux choisis :
« Vous arrivez les mains vides, et ce sont eux qui vous donnent quelque chose. »
« J’espère qu’ils nous ont aimés autant qu’on les a aimés. »
« Nous avons vécu des moments inoubliables et nous sommes revenues différentes car nous avons vécu une autre approche des pauvres. C’est le témoignage unanime qui est ressorti le jour où nous nous sommes tous retrouvés pour faire le point sur ce voyage. »
« Dans tout ce travail, il faut adopter l’attitude du colibri… si chacun apporte sa goutte d’eau… cela nous oblige à la modestie. »
« Ce qui nous interpelle, c’est cette notion de citoyenneté : on travaille ensemble pour le bien de tout le monde. »
Telles sont les réactions de Fathia, Thérèse et Isabelle… Il n’y a rien de plus à ajouter…
Par Aline Racheboeuf, auteure bénévole à Iota.
Blog : https://dacperou.wordpress.com
Isabelle Dupuis : [email protected]
Thérèse Faivre : Amitiés Cité, [email protected] – 09 52 59 32 60
Fathia Rezzouz : Pôle Jonquet, [email protected] – 09 72 85 92 93
N’hésitez pas à leur écrire, à les appeler, puis à aller les rencontrer. Il n’y a que le premier pas qui coûte… ce n’est pas le Pérou !