Fratelli, une affaire de cœur(s)
Ces oiseaux sont à l’image de ce qui se vit à Fratelli : tous différents… mais ensemble !
0« La pauvreté prend toujours des visages différents qui demandent une attention à chaque condition particulière. » C’est ainsi que le Pape François s’exprimait ce samedi 13 juin, fête de St Antoine de Padoue, patron des pauvres, dans son message pour la future Journée mondiale des Pauvres prévue le 15 novembre 2020. Il nous a alors semblé que, du côté de Draguignan, l’association Fratelli-UDV résumait bien cette définition et que trois de ses principaux acteurs seraient les bienvenus pour nous le démontrer.
« Qu’as-tu fait de ton frère ?»
A l’heure où des esprits chagrins veulent nous faire croire que tout le monde déteste tout le monde, d’autres esprits bien plus lucides s’emploient – s’acharnent même – à semer l’espoir et la volonté de vivre au cœur de vies sinistrées par des intempéries encore pires que l’eau et le feu.
L’espoir, c’est ce qui fait regarder la réalité en face, telle qu’elle est parfois dans son impitoyable dureté. Et on ne sème pas l’espoir au cœur du plus fragile en l’assommant de discours usagés… comme on le fait parfois en lui donnant nos vieux vêtements « qui lui iront si bien… » !
Fratelli, frères… (« e sorelle », sœurs, bien sûr !…), une fraternité, capable d’entraide et d’estime réciproque, un esprit de service comme « un voyage du cœur aux mains », un va-et-vient entre donner et écouter. Disons plutôt offrir, c’est un geste plus fraternel, c’est le geste des Rois Mages devant l’Enfant…
Fratelli… les frères d’aujourd’hui sont les lépreux du temps de François d’Assise : ils nous obligent à avancer au-delà de nous-mêmes et de nos propres peurs. Comme le « Poverello », que l’on peut considérer comme un « grand frère », essayer de ne perdre en route aucun d’eux, c’est un défi hors norme mais indispensable.
«Nul ne peut dire je suis innocent de la situation des autres»
Mgr de Moulins-Beaufort, dans son livre-lettre récemment paru, « Le matin, sème ton grain », le précise avec force : « Nul ne peut dire « je suis innocent de la situation des autres » ». Hélas, il y a mille et une raisons qui font que l’on s’accommode de la pauvreté de l’autre, parce qu’on n’en finira jamais avec les idées fausses qui sont si savamment répandues à ce sujet.
Fratelli, c’est comme un pacte. C’est fait de valeurs sorties il y a 800 ans du cœur d’un homme qui avait compris que toute créature est bonne et aimable – quelle que soit son apparente existence – et que le monde ne peut pas être juste s’il ne commence pas par être fraternel.
Regards croisés
Les regards croisés de Christian Petit, Président de l’association, Ludovic de Lalaubie, coordinateur de l’Eco-Hameau Saint-François et Aurélie Lucquiaud, coordinatrice de l’association, nous ont fait ressentir tout le poids de cette aventure humaine.
Christian PETIT
En changeant de nom, Dracénie Solidarités a aussi changé d’état d’esprit et Fratelli-UDV s’est ouverte sur de nouveaux horizons. Mais personne n’est jamais complètement préparé à ce que nous rencontrons, cet horizon extrêmement vaste qui est celui des difficultés vécues par les plus fragiles d’entre nous, dans une société où l’on a vite fait de vous mettre à l’écart.
Ne pas rester inertes, combattre l’indifférence, être en quelque sorte « toujours prêts à… »
Christian Petit dit avec beaucoup de modestie que dans tout cela, il n’est qu’une « petite main », qu’il est « un peu au service », mais dans ses propos on sent combien il est touché par la mission qui lui a été confiée et les découvertes qui en résultent. Ne pas rester inertes, combattre l’indifférence, être en quelque sorte « toujours prêts à… ».
Fratelli, c’est un nom qui parle tout de suite aux gens d’entraide, de partage, c’est un « lieu de fraternité ». Il y a malheureusement une charge administrative qui prend beaucoup du temps que l’on aimerait passer à vivre avec les gens, les rencontrer au hasard, de façon informelle, même pour un simple bonjour.
Et le Président évoque avec enthousiasme les heures où il pourrait « passer la débroussailleuse sur le terrain du Hameau » au lieu de rester enfermé en tête-à-tête avec la paperasse !
Il apprécie le travail en équipe, avec tous, bénévoles et salariés, l’écoute que l’on partage ensuite pour améliorer jusqu’aux plus petits détails de la vie des accueillis. Sa profession de pédiatre lui fait porter sur les enfants un regard plus particulier, « un regard différent sur les enfants différents » avec ce paramètre incontournable : qui dit enfant différent dit parents en difficulté, et forcément tout un contexte à considérer.
Lui qui a dirigé une structure pour jeunes enfants handicapés sait que les enfants, eux, savent être heureux : alors, comment en équipe, aider leur entourage ? Il y a par exemple, au Hameau, une maman célibataire avec un enfant handicapé de 13 ans.
Pour Christian Petit, permettre à toute personne de mener une vie « humaine » en lui rendant sa dignité, en lui trouvant sa vraie place parmi les autres et le rôle qu’il peut y jouer, c’est le défi de Fratelli. Un défi auquel il est heureux de participer.
Ludovic de LALAUBIE
Fratelli, c’est un tout, un ensemble de projets qui touchent différentes formes de pauvreté, de précarité, d’exclusion. Avec les mots du cœur, toujours chaleureux, qui le caractérisent, Ludovic de Lalaubie évoque l’Epicerie solidaire, l’alphabétisation, l’accueil des familles de détenus, le jardin solidaire et bien sûr l’Eco-Hameau solidaire St François dont il est le coordinateur passionné.
La Maison Greccio a été acquise sur le conseil de Mme Mireille Chauvin ; elle est à la fois accueil et dépannage, elle est comme une manifestation de tendresse, rappelant celle avec laquelle François d’Assise a offert un Noël inouï aux habitants de ce pauvre village.
Tous ces projets aboutis font preuve de solidarité créative, d’initiatives qui, en grandissant, font boule de neige…
Tous ces projets aboutis font preuve de solidarité créative, d’initiatives qui, en grandissant, font boule de neige, où le partage des joies et des peines accompagne celui de la nourriture, de la connaissance, de l’accueil jusqu’à l’émerveillement devant ce l’on sème et qui pousse sous nos yeux.
Faire cohabiter les relations humaines et les institutions n’est pas toujours chose facile, surtout lorsqu’on veut valoriser ce qui se fait de mieux, de bien chez ceux à qui l’on n’accorderait en général que les miettes tombées de la table. Simplement parce que « le pauvre » a un côté insolite, bizarre, étrange ou singulier… dérangeant, quoi !
Ce qui tracasse Ludovic de Lalaubie, c’est également la qualité de l’alimentation donnée aux personnes en précarité : en leur faisant profiter des invendus de la grande distribution, nous contribuons finalement en quelque sorte au gaspillage. Comment alors prendre ce problème en mains et le placer dans une vision plus globale de la société ?
Fratelli, pourquoi ce nom ? Parce que nous voulons être autre chose que des gestionnaires de projets sociaux. L’univers de François d’Assise – le frère universel – se rapproche de la fraternité, tant par son sens de la justice sociale, du partage, de la décroissance, de la paix, de l’accueil de l’autre dans toute sa différence, le tout illuminé par cet émerveillement devant la Création et devant chaque être humain.
Pour parvenir à demain, il faut absolument ne rien négliger de ce qui est vécu aujourd’hui.
Pour parvenir à demain, il faut absolument ne rien négliger de ce qui est vécu aujourd’hui. Et il est primordial d’y associer toute la population. Fratelli est née après Laudato si, en mai 2015, qui porte dans son ADN toute la question du frère. Et nous venons d’entrer dans l’année Laudato si (24 mai 2020-24 mai 2021). Et les évènements que nous vivons depuis 3 mois sont de nature à nous interpeller fortement.
Aurélie LUCQUIAUD
Je travaille pour l’association depuis septembre 2018, après être arrivée dans le Var en 2016 avec mon mari Benoit, animateur au Secours Catholique. J’ai d’abord été bénévole, notamment déléguée départementale d’une association d’aide aux victimes de maltraitance. Puis j’ai travaillé comme chargée de mission à Forum Réfugiés, c’est à ce moment-là que j’ai connu l’UDV.
J’ai fait mes études à Lyon, au sein de l’école de formation aux métiers de l’humanitaire Bioforce et suis originaire de la Mayenne. Nous sommes aujourd’hui installés à Draguignan avec notre fille Romane qui est en CP, et j’oeuvre comme coordinatrice de Fratelli-UDV, aux côtés de Ludovic de Lalaubie.
La mixité bénévoles/salariés apporte tout son sens grâce à leur complémentarité…
Concernant l’épicerie solidaire « la musette », nous avons environ 10 bénévoles engagés voir plus, et une mixité bénévoles/salariés qui apporte tout son sens au quotidien grâce à leur complémentarité, 1 Conseillère en Economie Sociale et Familiale (CESF), 2 salariés qui s’occupent de la logistique et de la vente, ainsi que Jacques, le jardinier, qui intervient en support sur certains temps d’accueil (caisse, animation…).
Nous essayons de développer progressivement la participation des publics « bénéficiaires » de l’épicerie qui est à la fois fixe et itinérante, basée à Draguignan et se rendant dans les villages de Callas, Le Muy et Vidauban.
Pour l’accueil des familles à la Maison d’arrêt de Draguignan, nous avons repris notre partenariat avec l’association locale Trait libre. Ainsi un dimanche tous les 15 jours une art thérapeute intervient auprès des enfants et des parents, notamment pour les détendre avant les parloirs, et propose des ateliers d’arts créatifs, de libérer la parole etc.
Cette action est complémentaire de celle des quelque 12 bénévoles impliqués dans cet accueil qui interviennent les mercredi, samedi et dimanche. Nous souhaitons d’ailleurs augmenter le nombre de bénévoles impliqués sur cette action : avis aux candidats !
En ce qui concerne les jardins partagés au Muy, nous souhaitons faire évoluer le projet pour développer la participation des jardiniers aux décisions, via le conseil des jardiniers notamment. Cela demande du temps mais permet de redynamiser le projet.
10 parcelles sont mises à disposition sur le terrain qui appartient à la commune, et nous allons diviser les parcelles pour permettre la participation de plus de personnes. Nous rencontrons la difficulté que le terrain est grignoté petit à petit, notamment à cause des récentes inondations qui nous ont fait beaucoup de mal.
Une bonne nouvelle est survenue pendant la période de confinement : l’Entrepôt du bricolage nous a fait don d’une débroussailleuse et d’un motoculteur !
« Nos » jardiniers sont souvent en situation de précarité et les produits qu’ils cultivent sont un moyen de subsistance…
Les jardiniers qui viennent aux jardins partagés sont des personnes en situation de précarité, qui ont peu de moyens, et les produits qu’ils cultivent sont pour eux un moyen de subsistance, alors forcément ils ont eu le moral en berne avec les inondations…
Notre travail est de les remobiliser et travailler le lien social avec eux. Pour cela, les jardiniers sont accompagnés par une CESF, qui leur propose des ateliers nutrition, des repas en commun… Jacques, jardinier en contrat aidé, intervient également sur cette activité.
Notre association propose enfin des cours d’alphabétisation au Muy : 4 bénévoles animent les ateliers, avec la CESF et un prestataire extérieur. 2 sessions par semaine sont organisées le lundi et mardi après-midi, dans un local de la commune et au collège La Peyroua du Muy. Nous avons un partenariat avec l’éducation nationale pour les parents d’élèves qui ont du mal à suivre la scolarité de leurs enfants. Des cours de sensibilisation à l’éducation civique, à l’histoire et aux valeurs de la république sont mis en place.
Pour organiser tout cela nous pouvons compter sur 5 salariés, 1 coordinateur mis à disposition et environ 50 bénévoles.
Travailler à Fratelli-UDV est un engagement de ma part, je ne pense pas être une militante, mais le fait d’agir auprès des personnes précaires et fragiles est important pour moi, et c’est ma façon de m’engager !
Les situations des personnes que nous accompagnons sont toutes différentes, mais nous constatons globalement une situation de précarité chronique, et cela nous interroge sur la façon dont nous menons nos actions. Les publics évoluent, on constate un manque de ressources, malheureusement la pauvreté se reproduit et ne s’arrête pas.
Mais je crois que la question de fond touche à la question du lien social, et pas uniquement à la pauvreté monétaire. Les personnes précaires se sentent seules, isolées… et on peut très vite basculer dans notre société !
« Ce qui importe est le regard que nous portons sur les personnes… »
Je suis convaincue que ce qui importe est le regard que nous portons sur les personnes : bien souvent nous faisons pour elles et on ne leur laisse pas le choix de nous le rendre, or lorsqu’on essaie d’instaurer une dynamique participative, alors les personnes se prennent vraiment au jeu. Le lien social ne se travaille pas uniquement avec les ateliers, mais également à travers la façon dont nous accueillons les personnes, bien souvent on observe des changements très concrets dans leurs comportements lorsqu’on agit ainsi !
Je n’ai pas encore observé de changements notables dans les populations rencontrées après la pandémie de Covid 19. Du fait de l’arrêt de l’accueil physique dans notre épicerie durant le confinement, nous devons désormais rattraper le retard accumulé dans nos accompagnements, donc notre public n’a pas changé car les personnes étaient inscrites depuis longtemps. Nous observerons sans doute une évolution du public à la rentrée de septembre, suite aux effets de la crise sociale, des pertes d’emplois etc.
Les enfants des familles que nous côtoyons sont comme les autres enfants ! Tous ceux qui viennent à l’épicerie portent la même innocence que les autres enfants. Je crois qu’ils ont d’innombrables possibilités de devenir, je ne crois pas aux déterminismes sociaux à cet âge-là.
Avec l’épicerie nous travaillons les questions de parentalité, veillons au développement des activités, il est essentiel d’ouvrir les familles sur le monde extérieur. Il m’importe de croire que les choses ne sont pas déterminées par avance et que ce ne sera pas forcément plus difficile pour ces enfants-là par la suite.
Nous lançons un appel à bénévoles de manière générale : il y a toujours des choses à créer et à développer avec celles et ceux qui souhaitent s’intégrer et partagent le projet de l’association : nous avons à cœur de faire participer les personnes que nous accueillons à toutes les étapes de notre accompagnement, il s’agit de faire pour et avec les publics que nous recevons !
Nous lançons aussi bien sûr un appel aux dons car les subventions diminuent chaque année, et cette générosité du grand public est indispensable pour que nous puissions exister sur le long terme !
Découvrez quelques photos des activités de Fratelli-UDV :
Astuce : aidez-vous des flèches droite et gauche du clavier pour faire défiler les images
En guise de conclusion…
Ces trois témoignages reflètent bien les valeurs sûres de Fratelli-UDV mais aussi de toute structure qui a pour devise de « servir son frère ». On peut, je pense, leur accoler ces réflexions de Gilles Rebêche développées dans ses Chroniques rédigées pendant le confinement :
« Je crois que l’on fait fausse route quand on fait des pauvres des objets de la charité et non pas des sujets de leur propre développement » et plus loin : « La solidarité, si elle n’est pas joyeuse et ne sait pas faire la fête n’est qu’une grimace du cœur ».
Chers lecteurs, vous voyez : il n’y a pas que les virus qui soient contagieux ! L’amour, le partage, l’accueil, la solidarité, la proximité… eux aussi sont contagieux. Ils peuvent se propager à toute vitesse pour peu que nous les provoquions !
Écoutons encore le Pape François dans son dernier message :
«Le choix de consacrer une attention aux pauvres, à leurs nombreux et divers besoins, ne peut être conditionné seulement par le temps disponible ou par des intérêts privés, ni par des projets pastoraux ou sociaux désincarnés».
Au-delà des apparences, il y a du bon, du beau, du vrai et il faut prendre le temps de les dénicher… mais cela vaut le coup d’essayer.
La vie du monde, c’est loin pour beaucoup de gens parce qu’ils n’ont pas encore réalisé – dans leurs têtes et dans leurs cœurs – que chaque être vivant aperçu, rencontré, côtoyé, doit être reconnu comme une parcelle de ce monde. La lecture du livre de la vie de chacun se révèlera alors intense par ce qu’elle offrira d’émerveillement et d’étonnement à celui qui ne sera ni un blasé de la charité, ni un indifférent à tout ce qui n’est pas lui.
« Que la main tendue, alors, puisse toujours s’enrichir du sourire de celui qui ne fait pas peser sa présence et l’aide qu’il offre, mais ne se réjouit que de vivre à la manière des disciples du Christ. » – Pape François
« Après que le Seigneur m’eut donné des frères, personne ne me montrait ce que je devais faire… » – Testament de St François d’Assise
Oui… Il était une Foi…
Aline RACHEBOEUF, auteure bénévole pour IOTA, avec le concours de Christophe PAREL, responsable communication de l’UDV
Pour aller plus loin :
Téléchargez le rapport d’activités 2019 du hameau St François
Contacter l’association pour vous engager comme bénévole ou faire un don :
04 94 85 43 55 ou aurelie(point)lucquiaud@(arobase)fratelli(tiretdu6)udv(point)fr