Le dispositif d’astreintes climatiques dans le Var
Objectif : venir en aide aux sans-abris qui dorment dehors
0L’hiver nous semble bien loin et pourtant nous sommes en plein cœur de la trêve hivernale. Inscrite dans la loi depuis 1956, cette trêve s’étend du 1er novembre au 31 Mars.
Durant cette période généralement froide, les facteurs de risque pour les personnes vulnérables sont plus élevés et rendent nécessaire des dispositifs particuliers de veille sanitaire et d’hébergement d’urgence pour les personnes sans abri.
Chaque année, aux côtés du département, l’Union Diaconale du Var s’engage pour mettre à l’abri des personnes sans domicile les jours de grand froid. Une mobilisation menée de concert par les associations membres du réseau UDV, le secrétariat général et certaines paroisses toulonnaises.
Ponctuellement, par vagues, de manière localisée ou sur l’ensemble du territoire, les conditions météorologiques se détériorent et rendent nécessaire la mise en place de dispositifs de veille renforcés, notamment en période de grand froid.
Dans le Var, ces dispositifs sont activés dès que la température est ressentie comme négative ou que des perturbations climatiques sont annoncées comme violentes : vent, pluie, orage.
L’objectif formulé pour cet hiver 2018/19 par Arnaud Pouly, Directeur Départemental de la Cohésion Sociale (DDCS) :
« que personne ne passe la nuit dehors dès que le thermomètre descend en dessous de zéro. »
Les mesures « grand froid »
Le plan « grand froid » est un dispositif national. Activé localement par les préfectures, selon les conditions météos, il permet entre autres de déployer et d’adapter les aides pour les personnes sans abri.
Dans le Var, le plan de veille et d’alerte est piloté par la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS) sous l’autorité du préfet.
Ce plan prévoit :
- d’ouvrir des places supplémentaires dans les établissements hospitaliers pour des personnes sans abri dont l’état de santé nécessiterait des soins.
- de proposer systématiquement aux personnes sans abri une place d’hébergement, en lien avec les urgences sociales, ou Samu social (le 115).
- d’organiser l’accompagnement des personnes vers le lieu d’accueil obtenu.
L’enjeu est de pouvoir apporter une réponse adaptée à toutes les personnes à la rue qui sollicitent le 115 ou qui sont signalées lors de maraudes.
Lorsque la température est annoncée en dessous de zéro par Météo-France, une alerte est lancée. Celle-ci enclenche l’ouverture de places d’accueil supplémentaires afin de répondre à une demande plus forte de mise à l’abri. L’alerte n’est donnée que pour 24H. Durée au bout de laquelle elle peut être renouvelée, selon les prévisions de Météo-France.
Ce dispositif opérationnel se met en place chaque année notamment grâce à la mobilisation d’un grand nombre d’acteurs impliqués dans la prise en charge des personnes sans abri, c’est à dire : l’ensemble des opérateurs de veille sociale du département et de nombreuses associations (Ordre de Malte, Emmaüs, La Fondation Abbé Pierre, l’UDV etc.).
Le 115, pivot du dispositif « grand froid »
Le 115 est un numéro d’urgence sociale national, joignable 24h/24, 365 jours/365. Il dispose d’antennes locales dans plusieurs régions de France. Ainsi, tout appel passé au 115 depuis un téléphone localisé dans le Var sera orienté vers la plateforme varoise gérée par le SIAO, le Service Intégré de l’Accueil et de l’Orientation.
Selon le SIAO, le nombre d’appels ne cesse d’augmenter d’année en année. Si les hommes seuls constituent la grande majorité des requêtes, les femmes et les familles sont aussi concernées, et de plus en plus.
Ce service constitue l’élément central du dispositif de veille et d’hébergement.
Via le 115, le SIAO recueille et centralise les demandes d’hébergement et assure la régulation et l’affectation des places d’hébergement. Il ajuste ainsi l’offre à la demande : en cas d’alerte les structures sont mobilisées progressivement selon les demandes. Les structures ad hoc sont les premières mobilisées, les dernières sont les paroisses.
Une offre d’hébergement élargie
Tout au long de l’année, dans le Var, jusqu’à 637 personnes peuvent être accueillies dans les centres d’hébergement.
En cas d’alerte climatique, plus d’une centaine de places supplémentaires s’ouvrent à destination des sans abri, auxquelles s’ajoutent des nuitées hôtelières.
Cette surcapacité est permise grâce à la collaboration de l’ensemble des acteurs de la veille sociale et de l’hébergement dans le Var : certaines structures étendent leur capacité d’accueil en cas d’alerte, des associations et des paroisses, en lien avec l’Union Diaconale du Var, ouvrent leurs portes.
L’Union Diaconale du Var
En cas d’alerte climatique hivernale, l’Union Diaconale du Var assure jusqu’à 79 places supplémentaires.
Ces places sont proposées à travers tout le département, soit directement par les associations membres (Méditerranée Larges Horizon au Beausset, Les Amis de Paola à Fréjus, Logivar à Toulon, l’Eco-Hameau, Saint François à Draguignan, l’accueil de jour de Saint-Tropez), soit par des paroisses : les églises de Saint Cyprien et de Notre Dame des Routes à Toulon, ou encore celle de Saint-Maximin en Provence verte.
Ce dispositif d’accueil et de mise à l’abri est piloté par le 115 en ce qui concerne les associations spécialisées dans l’hébergement, et par Ludovic Teillard, secrétaire général de l’UDV, en ce qui concerne les associations et structures paroissiales.
Ces dernières ne sont mobilisées qu’en cas d’extrême urgence, c’est à dire lorsque les structures d’accueil sont déjà saturées.
Un enjeu d’inclusion
L’hiver, ceux qui demandent des places sont en général les plus exclus, parfois invisibles le reste de l’année.
La mise à l’abri en cas d’alerte est une occasion de renouer contact avec des personnes souvent très marginalisées, recréer un lien avec la société, qui s’étiole au fil des jours passés dans la rue.
Pour Arnaud Pouly, « il ne s’agit pas seulement de mettre à l’abri des gens qui en ont besoin, il s’agit aussi de saisir l’opportunité de les « capter » et leur proposer de s’orienter vers un dispositif d’insertion.»
Un sacré défi, lorsque le temps est compté (entre 19h et 8h) et transitoire (juste pour une nuit)…
Expérience en paroisse
Pour la troisième année consécutive, la Paroisse Notre Dame des Routes à Toulon, participe au plan grand froid en ouvrant ses portes à des personnes sans abri certains soirs d’alerte.
Dès son arrivée en 2013 comme curé de la Paroisse, le Père Gilles Guenerie avait à cœur d’ouvrir sa paroisse aux plus nécessiteux. A cette époque, la configuration des locaux ne permettait pas d’accueillir dignement des personnes pour la nuit.
En 2014, un réaménagement des locaux est envisagé. Le curé invite ses paroissiens à penser l’aménagement en incluant cette possibilité d’accueil. Répartition des salles, bloc douches, sanitaires : tout est pensé et conçu pour rendre ce projet possible. Le nouveau foyer paroissial ouvre ses portes en 2016.
Pour le père Gilles Guenerie, il ne s’agit aucunement de se substituer aux structures sociales existantes.
Son désir est de faire vivre l’hospitalité chrétienne, tout en préservant les activités paroissiales et en ménageant la disponibilité de ses paroissiens.
Il envisage donc un accueil régulier mais ponctuel. C’est Gilles Rebêche, diacre en charge de la Diaconie du Var, qui l’oriente vers l’Union Diaconale du Var, déjà engagée dans le dispositif grand froid.
Le prêtre sollicite l’un de ses paroissiens, Frédéric Sanoner, engagé dans les maraudes avec le Bus de nuit – action du réseau UDV portée par les Amis de Jéricho -, pour assurer la coordination de ce projet.
Pour Frédéric, cet engagement auprès des plus fragiles résulte d’un profond désir de se mettre au service de l’autre. De vivre une vie chrétienne plus cohérente.
Ainsi, le foyer paroissial, accueille en journée et /ou en soirée les activités paroissiales, et se transforme certaines nuits en maison d’accueil. Entre 21h et 8h.
La paroisse Notre Dame des Routes est le dernier maillon de la chaîne : elle est la dernière structure activée en cas d’alerte climatique. Cette année, sur 31 soirs d’alerte, la paroisse a été sollicitée 8 fois via l’UDV.
Le nombre de places disponibles a été fixé à 8. En réalité, c’est un chiffre indicatif, il peut y avoir deux personnes de plus ou de moins. Mais cela ne perturbe pas les conditions de logement. Tous sont orientés par le 115.
Le père Gilles Guenerie et Frédéric Sanoner ont à cœur d’accueillir leurs hôtes dignement, dans une ambiance chaleureuse, et un esprit familial.
Si le démarrage de ce projet s’est fait « timidement », l’équipe de bénévoles s’étoffe chaque année, notamment grâce aux témoignages d’« anciens » qui partagent leur joie de servir.
Cette année, c’est donc une vingtaine de bénévoles, hommes et femmes, qui se rend disponible pour consacrer une ou deux soirées de l’hiver à l’accueil des personnes de la rue dans la Paroisse Notre Dame des Routes.
Cet engagement est relativement peu contraignant. Chacun transmet ses disponibilités et indisponibilités d’emploi du temps à l’avance. Les alertes étant déclenchées au jour le jour (généralement en milieu de journée, mais parfois aussi en milieu d’après-midi pour le soir même), il faut être réactif !
Le secret d’une bonne organisation réside dans la préparation et l’anticipation. Frédéric Sanoner constitue pour chaque astreinte des binômes homme/femme et expérimenté/novice. La permanence débute vers 20h30 pour les bénévoles.
Ces derniers, paroissiens ou non, sont heureux de se donner, de servir, d’être utiles.
La plupart des bénévoles doit surmonter quelques craintes et préjugés, mais tous témoignent d’une expérience positive et transformante. Ils sont fiers de proposer un accueil de qualité.
Des matelas pneumatiques sont installés dans deux pièces d’une trentaine de mètres carrés chacune. Chaque personne accueillie bénéficie d’un matelas, d’une chaise de chevet, d’un set de linge et d’une couverture.
En raison des activités paroissiales, l’accueil est parfois tardif mais chaque personne est accueillie avec une boisson chaude et une collation. Tous se rassemblent pour un temps convivial dans l’espace central.
En outre, le bus de nuit fait un crochet par la paroisse pour terminer sa tournée, et distribue les denrées qui lui restent. Après une nuit de sommeil, un petit déjeuner leur est servi, avant que chacun ne reparte dans le froid de la rue.
Mireille Grot est engagée dans cette démarche depuis un an. Elle s’est proposée après avoir entendu une annonce du curé qui recherchait des bénévoles. Elle a assuré une permanence d’accueil jusqu’à présent. Elle témoigne d’une expérience enrichissante, de rencontres vraies et authentiques avec des personnes vivant une grande détresse.
Ce contact avec des personnes vivant à la rue est une première pour elle. Elle garde le souvenir d’échanges décapants ; « Chaque vie est unique, chaque parcours spécial. » Cet accueil lui a vraiment donné le sentiment d’être utile.
Pour le père Gilles Guenerie, cette initiative est un vrai bénéfice pour la paroisse.
Le bénévolat draine des personnes de tous horizons (paroissiens engagés, paroissiens occasionnels, parents d’enfants catéchisés, personnes du quartier…).
« C’est un socle pour les actions de solidarité de la paroisse, et notamment pour la mise en place des Tables Ouvertes Paroissiales en lien avec Amitiés Cité-UDV »
De plus, c’est une opération à moindre coût pour la paroisse, puisqu’elle reçoit une indemnité pour chaque astreinte, qui lui permet de couvrir les dépenses engagées.
Les personnes accueillies dans ce « refuge » (62 depuis le début de la trêve) sont particulièrement sensibles à l’accueil qui leur est réservé, tant sur la propreté, que la sécurité, la sérénité et la convivialité qu’elles y trouvent.
Quelques heures de répit avant de retrouver le froid de la rue…
Une responsabilité commune
Veiller aux plus fragiles d’entre nous est aussi un devoir citoyen. Les bons réflexes sont les suivants :
- Pour venir en aide à une personne sans abri ou en difficulté́ dans la rue, composer le numéro d’appel gratuit « 115 » en précisant adresse et difficultés repérées.
- Si la personne apparaît en détresse physique immédiate, appeler le 15 (urgences médicales) et attendre avec elle l’arrivée des secours.
Et ce pendant toute l’année, car ne l’oublions pas :
« On meurt autant l’été que l’hiver, les saisons ne changent pas grand-chose, c’est la vie à la rue qui tue. C’est une vie qui est très dure. »
Nicolas Clément collectif des morts de la rue.
Par Jasmine de Dreuzy, reporter bénévole pour IOTA