« Confinés dehors »…

Témoignage de l’Equipe Mobile Précarité Santé (EMPS), portée par Promo Soins-UDV sur le territoire de la Métropole Toulon Provence Méditerranée (MTPM). 

« Confinés dehors »

« En cette année 2020, la fin de l’hiver est marquée par un virus. Les médecins et les autorités politiques sonnent l’alerte. Il est conseillé puis exigé au fil des heures que les citoyens se confinent à leur domicile afin d’éviter la propagation du virus aux conséquences importantes et graves sur l’état de santé des personnes fragiles.

Les accès aux lieux publics se condamnent, les vitrines ferment leur rideau, les transports en communs se raréfient, les rues se vident des citoyens confinés à leur domicile. Restent alors ces femmes et ces hommes sans toit, sans sanitaire, sans soin, sans ressource… permettant de répondre aux besoins primaires de tout un chacun.

L’EMPS continue ses missions

L’objectif est d’agir en connaissance des textes et décisions politiques et gouvernementales mais aussi en connaissance des cibles. Le public de la rue pour lequel l’EMPS intervient. Quel est le profil de ce public et quels sont ses demandes ?

« Aller vers »

Rapidement l’équipe se retrouve seule à parcourir les rues pour aller vers les personnes qui expriment de différentes manières leurs craintes et de façon de plus en plus urgente leurs besoins. L’équipe intervient dans des lieux hostiles, dans des environnements méconnus, elle fait face à des épisodes de violence.

Les personnes sont parfois sous l’effet de produits ou en situation de manque, sont en état de décompensation psychologique, sont dans la revendication de leur état de pauvreté et de misère et/ou sont en colère simplement contre le manque de moyens et l’oubli. On lit dans leurs yeux cette détresse de n’avoir aucune considération.

« Le 115 nous dit qu’il n’y a plus de place d’hébergement d’urgence à cause du virus ». Les places étant gelées, l’EMPS disposait uniquement de 2 places de mise à l’abri au début du confinement. Cela a généré frustration, colère, violence et rejet de la part du public et une mise en difficulté de l’équipe. Les critères de priorité de mise à l’abri se sont ajoutés à ceux que l’équipe avaient avant la pandémie (comorbidités, absence de fièvre etc).

  • « Je suis allé à Archaos comme d’habitude pour me poser et prendre une douche mais sur la porte il y a un panneau où c’est écrit fermé. » L’équipe a recueilli de nombreux témoignages relatant le manque de lien social. Tout comme nous, les personnes de la rue nous disent souffrir de cela, ne plus voir la personne âgée qui s’arrêtait chaque matin, l’enfant qui saluait lors du chemin de l’école…
  • Une femme d’une trentaine d’année, à la rue depuis plusieurs années, installée sur la place Besagne à Toulon, se plaint en ce dimanche de ne voir personne, elle confie aux membres de l’équipe avoir même donné des noms aux pigeons pour pallier à sa solitude.
  • « Nous nous retrouvons à la rue avec d’autres SDF qui parfois génèrent violence et agression pour pallier au manque de la manche, au rejet et la frustration de certains. »
  • « J’ai vu une AS (assistante sociale) la semaine dernière, je voudrais retourner chez mes parents, le CCAS est fermé et je devais aller récupérer un secours financier pour me payer mon billet de train ».
  • « L’hôpital a annulé mon intervention à cause du plan covid et je suis à la rue avec une impotence et j’ai très mal. »
  • « Je suis intérimaire, avec ce Covid je n’ai plus de travail, pas de logement et rien dans les poches pour manger. »
  • « Je devais voir mon AS à 11h à Jéricho et récupérer du courrier mais c’est fermé maintenant. »
  • « Je n’ai plus de vêtement et pas moyen de laver mon linge, le Secours Populaire est fermé et les maraudes ne viennent plus. »
  • Une maman victime de violence conjugale, mise à l’abri dans un hôtel avec ses enfants n’a pas d’interlocuteur, ni de ressource pour acheter des vivres à ses enfants de moins de 3 ans avec elle.
  • « La Spada (Structure du premier accueil pour les demandeurs d’asile) est fermée, nous ne pouvons finaliser nos démarches et le 115 nous dit qu’il n’y a rien. »

  • « Les maraudes alimentaires ne tournent plus, les accueils de jours sont fermés où pouvons-nous manger ? »
  • « Je suis en rupture de traitement et j’ai besoin de voir un médecin. »
  • « J’ai une plaie mais si je vais à l’hôpital à cause de la maladie je vais attendre des heures aux urgences. »
  • « Je crois que j’ai de la fièvre, je ne me sens pas bien. J’accepte le dépistage mais aucune structure accepte de m’accueillir le temps d’obtenir les résultats. Je me retrouve seul, face à moi-même dans mon squat, avec comme seule compagnie mes inquiétudes face au virus, mes questions sans réponse et ce que va être demain ? »
  • « Je vis de l’argent de la manche, sauf que les gars de la sécurité ne veulent pas que je reste devant le magasin à cause des gestes barrières, je fais comment pour m’acheter mes bières… si je ne bois pas je meurs. »
  • « Les policiers me contrôlent, bien que je sois SDF, la réponse n’est pas adaptée à ma condition de vie voire des amendes sont délivrées. Mépris de ma situation, pris en étau entre le manque d’accueil de jour, de solution d’hébergement, la possibilité de faire la manche, la crainte envahissante pas à pas des contrôles policiers, où puis je aller ? Comment ? Comment substituer et traverser cette crise ? ». L’équipe met en place et distribue des attestations de non-confinement justifiées par l’absence de lieu de domicile.
  • Un homme d’âge avancé, sollicite le 115, car il s’est vu refuser l’accès aux transports en commun pour se rendre à un hôtel pour une mise à l’abri, car il n’avait pas d’attestation de déplacement. L’EMPS a hébergé Monsieur sur une place d’urgence et lui a remis une attestation pour qu’il puisse se rendre à l’hôtel le lendemain.
  • Et tant d’autres situations…

« Évaluation sociale et sanitaire »

Tous les témoignages font l’objet d’écrits professionnels par les membres de l’EMPS. Les informations sont décortiquées et classées. Les demandes sont remontées aux instances telles que la DDCS (Direction départementale de la cohésion sociale), le SIAO (Service intégré d’accueil et d’orientation, le « 115 ») et le CHITS (Centre hospitalier intercommunal Toulon-La Seyne).

« Informer et orienter »

Le travail avec les partenaires occupe une partie de la journée par le biais de nombreux échanges écrits (mail) et verbaux (contacts téléphoniques). L’équipe se charge de recenser et faire connaître les dispositifs mis en place dans l’état actuel pour ces personnes démunies.

L’équipe relève la quasi-absence de solution pour les personnes qui ont des chiens. L’impossibilité de se séparer pour la plupart de leur compagnon de vie. Le choix de rester à la rue n’en n’est plus un faute de moyens…

« Acheminer »

Des moyens sont mis en place au fur et à mesure de la crise.

Un premier hôtel à Solliès-Pont offre à une trentaine de personnes la possibilité de se mettre à l’abri jusqu’à nouvel ordre.

Les personnes sont orientées par le 115. Les travailleurs sociaux de cette plateforme font appel à l’EMPS lorsqu’ils n’ont pas assez d’éléments sur la personne en demande de mise à l’abri (l’équipe va faire une évaluation sanitaire et sociale) et/ou lorsque la personne n’est pas en capacité de se rendre seule sur l’hôtel (l’équipe fait alors l’acheminement).

L’EMPS a des outils de première nécessité dans son véhicule. Ils répondent à des besoins de survie immédiat. Sur le territoire de nombreuses maraudes bénévoles répondent à ces besoins primaires et permettent de soulager l’équipe de cette distribution essentielle.

Or la crise sanitaire a dans un premier temps fait disparaître ces maraudes bénévoles. Cet état de fait a impacté les pratiques, les actions d’intervention, laissant les personnes restant à la rue livrées à elles-mêmes. L’équipe ne peut à la fois répondre à la multitude de besoins sur les différents hôtels répartis sur TPM et sur les différents lieux de squat.

L’équipe se retrouve avec de nombreux signalements. Les écoutants du 115 font appel à l’EMPS pour de nombreuses demandes de distribution alimentaire, vestimentaire et couverture en priorité.

L’équipe se réorganise dans ses actions en mettant en place deux équipages de maraude sur le terrain chaque jour de 14h à 21h. Un véhicule part à l’Est de Toulon (Hyères, Solliès-Pont, la Crau, le Pradet, Carqueiranne la Garde…), et l’autre à l’Ouest de Toulon (La Seyne, Six-Fours, Sanary, Saint-Mandrier-sur-Mer, Ollioules… ).

Dans un second temps, en lien avec le bus de nuit, Toulon solidarité, Bébé bonheur, la Maraud’Hyères, l’ordre de Malte et les Restos du cœur, l’équipe va chercher les colis alimentaires préparés et les distribue sur le terrain. Puis elle partage des gants et masques chirurgicaux aux bénévoles afin que les maraudes puissent rapidement se remettre en place avec toute la prudence que requiert cet épisode de crise.

L’équipe est chargée d’effectuer un recensement des personnes volontaires pour la mise à l’abri en collaboration avec les accueils de jour et associations de terrain. Sans oublier la veille quotidienne vers des personnes isolées et marginales qui refusent l’hébergement.

Nous nous sommes retrouvés démunis face aux personnes ayant des problématiques psychiatriques pour lesquelles l’hébergement ne peut se faire (sans le soutien des partenaires habilités à l’accomplissement de cette mission, excepté l’EMPP de la Seyne).

Au fur et à mesure des jours, des semaines, d’autres lieux ont ouvert afin que de plus en plus de personnes en demande de mise à l’abri puissent être accueillies jusqu’à la fin de cette période Covid.

Ce sont des hôtels, des campings, des gymnases qui accueillent environ 30 à 40 personnes chacun. Soit environ 200 personnes mises à l’abri. Progressivement sont mises en place les préparations et distributions alimentaires, vestimentaires et produits d’hygiènes, assurées par des équipes bénévoles et la marine.

Le suivi social, l’ouverture des droits, les domiciliations, les distributions de courriers sont assurés par des AS de Jéricho, Archaos, du Relais, d’En Chemin, de Promo Soins… qui eux aussi ont adaptés leur travail.

Certains suivis sociaux et médicaux sont régionaux, par le travail d’investigation et de réseau de l’EMPS : ils se mettent en place grâce à l’organisation d’appels téléphoniques depuis les hôtels vers les équipes mobiles de Marseille pour l’exemple de Mme G.

Depuis des semaines… L’équipe passe chaque jour dans ces lieux pour répondre aux différentes demandes. Chaque situation est singulière, chaque considération est importante.

Le cas particulier de cette situation est que le danger est imminent, il est présent… mais il ne s’appelle pas COVID, car aucun cas n’est recensé dans ces lieux d’accueil. Le danger est la violence concentrée sur ces structures. Ou des personnes expriment leur violence due à leur parcours, leurs pathologies singulières.

Habituellement l’équipe était confrontée à la violence sauf qu’elle était éparse sur le territoire, les personnes s’isolent très souvent. Là, elle s’exprime sous l’effet de masse.

De nombreuses bagarres éclatent sur les sites et dans la rue où l’équipe est présente, où l’équipe doit intervenir sur des menaces de suicide médicamenteux car le mal être est insupportable, où l’équipe est au-devant des menaces physiques, des insultes et des gestions de crise d’angoisse des victimes directes ou collatérales. L’équipe est confrontée aux scènes violentes qui affectent tout le monde.

La médiation est très importante car il faut comprendre, enrayer cette violence pour pouvoir aider ces gens-là. Le corps est affaibli et envenimé par les drogues, l’équipe fait le constat des besoins de moyens pour permettre à ces personnes de s’en sortir car leur seule volonté ne peut être une réponse.

Les actes infirmiers sont très nombreux en cette période de crise sanitaire. Les infirmiers de l’équipe surveillent l’état de santé des femmes et des hommes qui sont isolés.

La coordination médicale avec les médecins bénévoles qui ont pu répondre présents est devenue de plus en plus forte et efficiente pour les personnes sans couverture maladie et dont l‘état de santé nécessite une prise en charge médicale.

Depuis le début, l’équipe est sur le terrain, elle semble faire partie du paysage et cela peut être rassurant pour chaque personne qui se sent perdue dans ce flou quotidien. L’équipe est toujours la même, renforcée par une infirmière supplémentaire et le nombres d’interventions est multiplié par 2 voire 3 au quotidien.

Et que va t’il se passer ensuite ?

Les moyens mis en place ne devraient pas être que des moyens de répits !

Là encore, l’équipe entend des personnes le message qu’il faut des solutions pour l’avenir.

Tout ce contexte difficile a renforcé le lien et ouvert de nouvelles perspectives de travail et de communication. Dans cette situation de crise la solidarité entre les professionnels et les bénévoles a été renforcée et nous a permis de travailler en collaboration et bienveillance auprès des usagers. Un exemple que nous aimerions pérenniser : l’accompagnement des médecins et spécialistes « au chevet » des personnes nécessiteuses.

L’équipe est encore là… pour analyser, classifier et rédiger des écrits sur les situations actuelles et les perspectives d’orientations, de prise en charge des personnes.

Cela se manifeste par des réunions téléphoniques et en visio-conférence avec les partenaires médico-sociaux (SIAO, accueils de jours, CHRS…).

A l’annonce d’une date de déconfinement un homme nous dit : « Déconfinement je comprends, mais nous ? ».

Témoignage écrit à « 8 plumes » et 16 mains par les membres de l’EMPS : Ann, Allison, Benoit, Lorraine, Julie, Pierre, Sandy, Stéphane.  

Crédits photos : EMPS/Promo Soins-UDV

Retour sur la création de l’EMPS

L’EMPS a été créée il y a 6 ans dans le cadre d’une réflexion globale de l’UDV sur le Samu social de l’Aire toulonnaise, intégrant la réforme de l’hébergement d’urgence (fermeture de l’UHU de la Coquette et de St Joseph, remplacée par la résidence solidaire des Favières) et la modification du travail de rue en créant l’EMPS et en faisant évoluer l’action du bus de nuit.

L’UDV a pu sous l’autorité du Préfet réunir la DDCS et l’ARS pour réaliser ensemble une initiative originale, l’EMPS, afin de projeter à la rue, selon l’intuition du Samu social, des professionnels infirmiers et travailleurs sociaux pour servir d’interface avec le service des urgences, le SIAO et les associations concernées par cette activité du Samu social, aujourd’hui Jéricho, Promo Soins, Logivar et Romespérance.

Cette équipe se déplace avec un camion chargé à bloc, qui sillonne 6 jours sur 7 (relais et appui par l’Ordre de Malte), la métropole Toulonnaise. On trouve à son bord un binôme ou trinôme infirmier détaché du CHITS et travailleur social associatif.

C’est une  collaboration secteur public/ associatif qui fonctionne bien et ce grâce à un maillage de partenaires indispensables pour mener à bien cette mission.

 


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