Canto Maï

En provençal, « Canto maï », signifie « Je chante encore ». C’est aussi le nom d’une maison de retraite, qu’on appelle désormais un EHPAD, un sigle médico social qui ne donne pas forcément envie de chanter. Située sur une petite colline d’Ollioules la maison Canto Maï a été longtemps animée par les Petites Sœurs de l’Assomption. Aujourd’hui, les sœurs ont pris de l’âge et continuent de vivre au milieu des résidents en partageant dans une communion de destins leurs conditions de dépendance et de handicaps multiples. J’ai eu le privilège et la chance d’être invité cet été par elles, à participer à un temps d’échanges et de partage.

J’ai été émerveillé par l’humanité bienveillante de ces sœurs, leur réalisme et leur humour sur leurs propres fragilités tout autant que sur les faiblesses de leur corps abîmés par les ans. Mais j’ai été tout autant impressionné par leur force d’âme pour regarder en face, sans gémir, les agressions de la vieillesse qui dépouillent inexorablement les plus vaillants et font s’effondrer des pans entiers de projets qui requièrent de l’autonomie. « Mon honneur et ma joie c’est de chanter encore, de continuer à essayer d’aimer, alors que mes forces ne me permettent plus de rendre service et d’aider les autres, comme j’aimais le faire. C’est dur ce sentiment de ne plus se sentir utile aux autres et plus encore de se sentir devenir un poids pour les autres. Je n’ai plus que mon espérance à partager pour servir encore …. car je sens bien que c’est cette espérance qui est un des baumes les plus précieux pour prendre soin de l’âme, qui elle, ne vieillit jamais » me confiait l’une des sœurs handicapée de Canto Maï. Et une autre de renchérir :« On ne saisit pas tout ce qui se fait dans la Diaconie du diocèse, mais on se sent au diapason et en harmonie avec tout cet effort collectif pour faire en sorte que l’Esperance ne soit pas étouffée par la misère, les difficultés de l’existence mais aussi par l’indifférence et le chacun pour soi ».

Cet échange avec les petites sœurs de l’Assomption m’avait remis le cœur en fête en contemplant devant moi de façon inattendue l’affirmation du diacre St Laurent célébré le jour cette rencontre : « Les pauvres sont le trésor de l’église » ! En communion avec elles, j’ai murmuré plusieurs fois « je chante encore, canto maï », en particulier quand il a fallu les jours suivants consoler, rassurer et encourager des familles une nouvelle fois expulsées et mises à la rue, à cause de règles administratives inhumaines pour des exilés en précarité ou des personnes psychiquement épuisées.

Jusqu’à quand pourrons nous tolérer ces discriminations injustes à l’heure même de la mondialisation où les frontières sont poreuses aux images d’internet, aux virus les plus insolites, aux échanges financiers, aux ventes d’armes et aux touristes argentés ?
Bien conscient que rien n’est simple, il n’en demeure pas moins urgent de multiplier les tiers lieux conviviaux sur cette planète, tels que l’Amarre, l’EPAFA ou Kairé dont parle ce numéro de Iota pour reconsidérer un fraternité sans frontière qui permettent aux exilés de « chanter encore ».

Pour y parvenir, il nous faut encourager à partir de ces tiers lieux l’économie solidaire, le partage des talents, les échanges interculturels, l’innovation citoyenne, les ressources spirituelles comme canaux d’Esperance, l’action collégiale pour retrouver l’énergie et la capacité d’agir ensemble, tout autant que la joie de servir en tenant compte de ses propres limites.

Ce serait vraiment un point d’honneur pour la Diaconie de ne jamais être assimilée au catalogue des « gestionnaires de la misère » mais d’être plutôt reconnue comme une constellation d’initiatives ecclésiales et fraternelles qui permettent à tous les pauvres et les petits de  » chanter encore  » un chant d’espérance capable de transformer le monde en commençant par nos propres cœurs. Puissions-nous rester nombreux à redire ensemble, quelque soient nos difficultés : « Canto Maï » !

Gilles Rebêche, diacre, délégué diocésain à la solidarité dans le Var, fondateur de l’UDV.


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