Toulon : la Maison de Georges porte un projet d’accueil de personnes avec un handicap

« Je suis un handicapé normal !»

Réflexion en forme de boutade lancée un jour à Jean Vanier par un des résidents du Foyer de l’Arche.

Faisons un rapide retour en arrière, vers le Sanctuaire de Lourdes à Pâques 1971, où Jean Vanier et Marie-Hélène Mathieu « osent » un premier pèlerinage d’handicapés mentaux. Contre vents et marées. Car, depuis des mois, il y en a eu des avis de tempête pour empêcher cet insolite navire de prendre la mer !

Depuis bien des temps, « ces gens-là » n’avaient pas leur place à Lourdes ! Ni nulle part ailleurs d’ailleurs ! Trop différents, perturbateurs, ingérables dans toute démarche, toute circonstance…  Mais depuis quelques années, les mentalités semblent vouloir évoluer et le cœur s’ouvrir peu à peu.

Et le Pèlerinage Foi et Lumière vit enfin le jour, avec son logo réalisé par Meb, un peintre trisomique : 12 personnages à bord d’une barque, sur une mer agitée et sous un ciel nuageux où perce le soleil. Tout un programme !

Il faut rappeler que, jusque dans les années 1960, les hôpitaux psychiatriques recevaient indistinctement malades et handicapés ;  on ne tenait compte ni du contexte de vie des personnes, ni de leur parcours, ni de ce qui les faisaient « différentes » des personnes ordinaires.

En Août 1964, Jean Vanier (que rien ne prédisposait à cette mission), bouleversé par ce qu’il avait vu dans un de ces établissements, décide d’accueillir chez lui, à Trosly-Breuil (Oise), deux handicapés mentaux – Raphaël et Philippe –  et de partager leur vie. L’Arche était née !

Jean Vanier, fondateur de l'Arche, est récemment décédé.

Jean Vanier, fondateur de l’Arche, est récemment décédé.

Aujourd’hui en France, L’Arche accueille plus de 1800 personnes en situation de handicap mental dans 35 communautés. La fédération internationale est présente dans près de 40 pays avec 150 communautés sur les 5 continents. (On peut en suivre toute la genèse sur le site de l’Arche).

Marie-Hélène Mathieu, elle, a fondé en 1963, l’Office Chrétien des personnes Handicapées (OCH), puis, 5 ans après la revue Ombres et Lumière, destinée aux parents et amis des handicapés, et non seulement les handicapés mentaux mais aussi ceux qui ont un déficit physique, sensoriel ou psychique.

La situation si douloureuse des familles la tenaillait et elle voulait absolument que le grand jour se fasse sur ces vies que l’on refusait de voir, même en Eglise. « Ce sont des innocents, entendait-on, alors, ne les tourmentez pas en voulant leur faire vivre la même vie que nous… Dieu les aime tels qu’ils sont… ».

« J’ai découvert que les personnes avec un handicap mental étaient le peuple le plus opprimé du monde. » Jean Vanier

J’ai connu dans le Nord de la France, en ces temps-là,  des familles dont « l’innocent » n’avait jamais franchi la barrière du jardin ou le paillasson de l’appartement. Un enfant, un adolescent, un jeune adulte dont la fratrie plus ou moins nombreuse côtoyait quotidiennement et sans problème tous les gamins du quartier ou du village.

Celui-là, celle-là, personne n’en parlait… et le montrait encore moins. Les parents ne demandaient qu’à être soutenus dans cette épreuve qui les dépassait ; pour eux, l’amour qu’ils vouaient à ces « petits » était incommensurable : comment ne pas aimer l’enfant qui souffre et ne pas essayer de tout faire pour lui procurer un peu de ce dont les autres profitaient naturellement… On a peine à imaginer la somme de détresses et d’humiliations lorsqu’on n’y a pas été confronté un jour ou l’autre.

A l’époque même où naissaient  l’Arche et l’OCH, des essais d’accueil se faisaient dans l’Eglise, sous l’impulsion de prêtres comme le P. Henri Bissonnier ou Mgr Jean-Charles Thomas, évêque de Corse en charge de cette pastorale si particulière, appelée « Pastorale de l’Enfance Inadaptée ».  Le Père Bissonnier fut le pionnier d’abord avec son extraordinaire Pédagogie de Résurrection, suivi par plusieurs autres ouvrages touchant toutes formes de handicap jusqu’à l’absence même de famille (Quand l’amour a manqué).

« De quoi avons-nous le plus besoin au monde ? Ce n’est pas d’être normal, mais d’être aimé et que quelqu’un croie en nous. »  Jean Vanier

Après 55 ans de vie partagée avec des personnes handicapées, le message de son fondateur (qui vient de nous quitter en mai dernier) est un message universel : l’accueil des fragilités de chacun est une voie essentielle pour construire une société plus humaine. Ces années d’accueil et de fraternité passées « à révéler à chacun son don unique et sa beauté », à ouvrir un autre regard sur le handicap, ont été d’une richesse incontestable tant pour l’Eglise que pour la société en général.

Dans une communauté de l’Arche, chacun est accueilli avec tout ce qu’il est, ses possibilités comme ses limites, ses talents et ses manques… comme n’importe lequel d’entre nous arrivant dans une école, un club de sport, un conservatoire. Pour que la relation qui va se créer soit vraie, tous, handicapés ou non, doivent vivre de façon authentique, s’acceptant tels quels, sans fard ni faux-semblants.

La vie communautaire, telle qu’elle est proposée par l’Arche, permet aux personnes en souffrance d’échapper à l’enfermement de la solitude. 

Alors, le mot ensemble prend tout son sens, tout comme le mot rencontre. Pour Jean Vanier, « le partage est une nourriture qui fait renaître l’espérance ».

« Je rêve d’un monde d’amour où les hommes n’auront plus peur les uns des autres. » Jean Vanier

Dans la société d’aujourd’hui, souvent dominée par des exigences de normalité et de performance, la fragilité semble ne pas avoir sa place. Car fragilité signifie aussi prendre le temps de la découverte, de l’apprentissage. Et le monde n’a pas le temps, ne sait plus prendre le temps ! Déjà, dans son message de Noël 1942, le Pape Pie XII s’écriait :

« Voulez-vous que l’étoile de la paix se lève et s’arrête sur la société ? De tout votre pouvoir, travaillez à rendre à la personne humaine la dignité que Dieu lui a donnée à l’origine. »

La Maison de Georges

Aujourd’hui, notre article a pour but de vous faire découvrir une association récente, partenaire de l’UDV, avec son historique, présentée par sa Présidente, Mme Nadine Thouard,  également vice-présidente de Trisomie 21 Var.

Pour ce faire, toute l’équipe de la Communication du Secrétariat général de l’UDV a choisi de participer à la rencontre : nos âges différents ne pouvaient qu’apporter une écoute et un regard différents eux aussi sur ce monde du handicap si longtemps ignoré.

Nos expériences différentes aussi : Christophe (responsable du service com) a passé 2 années à l’Arche (Chambéry puis Grenoble), Delphine (chargée de communication) avait dans son école une classe réservée aux handicapés, Bruno (volontaire civique) se souvient de son camarade de classe trisomique ( parfois bien mal considéré), Aline (auteure bénévole) a fait de la catéchèse spécialisée pendant 10 ans (1966-1976)…

« Accueillir quelqu’un, c’est lui ouvrir la porte de son cœur, lui donner de l’espace » Jean Vanier

La Maison de Georges n’est pas née par hasard. « Le hasard, disait Einstein, c’est Dieu qui se promène incognito »… Le diocèse de Fréjus-Toulon hérita en 1982 d’une maison dans le quartier de Saint Jean du Var, avec la clause d’y réaliser un projet en faveur des personnes handicapées. Mgr Gilles Barthe, alors évêque du diocèse, proposa au père Georges Paquet d’y créer un foyer de charité accueillant des personnes avec un handicap. Ce fut la même année que ce même évêque fonda la diaconie du Var.

La Maison de Georges, située dans le quartier Saint-Jean du Var, à l’Est de Toulon. 

Créée il y a 35 ans, l’association Béthanie accueillit très rapidement des enfants et des adultes porteurs d’un handicap mental. Il s’y passait de belles choses, elle comprenait de nombreux bénévoles – y compris des jeunes – sous la houlette de son fondateur, le Père Georges Paquet aidé par une salariée, Lydiane Davert.

Tout semblait aller facilement dans ces années 80 où les normes de toutes sortes n’avaient pas encore fait leur apparition. Béthanie souhaitait accueillir des personnes lourdement handicapées dans l’esprit des Foyers de Charité, au service de familles dépassées et épuisées.

Mais le Conseil départemental, tout en faisant preuve de tolérance, signifia à l’association que cette forme d’accueil n’était plus possible. Il fallut donc cesser toute activité, fermer les portes… Lydiane Davert prit … à 72 ans une retraite bien méritée !

Le Conseil d’Administration de Béthanie se tourne alors vers l’Union diaconale du Var et aussi vers l’Arche, c’était naturel, tout comme le message qu’elle annonçait depuis 1964 : « Toute personne, quels que soient ses dons et ses limites, a une valeur unique et sacrée. » Après les premiers contacts, une convention est signée avec Mgr Rey, Evêque de Fréjus-Toulon et Mme Lévy, députée du Var.

Pour porter ce projet de l’Arche à Toulon, une nouvelle association naît en Janvier 2015 : c’est  la Maison de Georges, en hommage au P. Paquet, décédé en 1998, et qui a tant donné à Béthanie.

« Nous ne faisons pas de grandes choses. Seulement de petites choses avec beaucoup d’amour » Mère Teresa

C’est donc à Nadine Thouard qu’échoit et la responsabilité de l’association et celle de porter ce projet. Maman d’un fils schizophrène et d’une « petite dernière » trisomique, elle vit avec sa famille le quotidien du handicap. Pour eux, c’est souvent difficile mais ce quotidien est vécu avec amour, celui qui se niche dans les toutes petites choses de la vie, qui ne s’encombre pas de préjugés, qui avance au rythme du plus petit… et qui, sans bruit, remet à l’heure les pendules de notre monde moderne, pressé et agité !

Car avec le handicapé mental, on n’est jamais installé dans la tranquillité : les notions d’égalité et de capacité sont quelque peu bouleversées, chacun allant à son rythme propre avec ses moyens d’expression parfois si déroutants. Communication à déchiffrer en permanence. Mais rendre sourire et joie de vivre à ceux que l’on a laissés de côté trop longtemps est une affaire bien plus importante que toutes les notions du monde. Leur regard dépend du nôtre. « Si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre » dit le renard au Petit Prince.

« Prends ma main. Conduis-moi sur le chemin de la tendresse. » – S.Conduché.

La Maison de Georges est actuellement « un projet accompagné par l’Arche ». La loi de 2005 a redéfini la place du handicapé dans la société, en insistant sur la notion « d’inclusion en milieu ordinaire » : l’idée est de proposer un « vivre ensemble » entre personnes valides et handicapés.

Par exemple, dans une maison de 10 logements, on accueillera 6 personnes handicapées, 2 salariés et 2 bénévoles (ou des jeunes en service civique). C’est cette réciprocité dans la relation qui va donner tout son sens à la rencontre de ces deux univers. C’est ce que l’on nomme la « pair-aidance ».

Ensemble, c’est le coeur du projet que porte la Maison de Georges. 

La volonté de l’Arche est de pouvoir accueillir les personnes jusqu’à la fin de leur vie. Or, actuellement, les Foyers de Vie ne les reçoivent que jusqu’à 60 ans (âge de la fin du versement de l’Allocation Adulte Handicapé). Ensuite, elles sont orientées vers les Ehpad comme n’importe quelle personne âgée.

Le projet de la Maison de Georges est le suivant :

  • Créer un lieu d’activités avec un accueil à la carte (journée, demi-journée, tant de fois par semaine…)
  • Et un hébergement pour adultes, avec l’Arche qui impose un montage financier nécessaire à sa pérennité : 3 communautés, 3 maisonnées de 10 logements. L’Arche en France soutient le montage de ce projet à Toulon, Bertrand Figarol, son responsable régional, est en lien avec le Diocèse.

Bien sûr, pour mener à bien un tel projet d’un montant minimum de 3 millions d’euros (car il faudra construire en plus des bâtiments existants), un Comité de Pilotage est en train de s’organiser, avec notamment Cécile Van Gaver d’Amitiés Cité, Bruno Jouassin…

La Maison de Georges a besoin de bonnes volontés et de compétences pour voir l’avenir en plus lumineux ! C’est une mission profondément humaine, certes, mais ne négligeons pas l’importance de l’encadrement, du savoir-faire, de la formation et de la direction même de ce lieu de vie.

« Mais le pauvre n’est pas oublié pour toujours : jamais ne périt l’espoir des malheureux » – Psaume 9.

En relatant cette rencontre chaleureuse et vraie avec Nadine Thouard, il me vient à l’esprit ce message du Pape François, du 13 Juin, annonçant la Journée Mondiale des Pauvres, le 17 Novembre prochain.

Il y rend un vibrant hommage à Jean Vanier, « saint de la porte d’à côté … qui a changé la vie de nombreuses personnes et a aidé le monde à regarder les plus fragiles et les plus faibles avec un regard différent ». La pauvreté revêt tant de visages que chacun de nous, quel qu’il soit, peut et doit se sentir concerné par l’un d’entre eux, il y a du travail pour tout le monde !

« Les pauvres ont besoin de nos mains pour se relever, de nos cœurs pour ressentir à nouveau la chaleur de l’affection, de notre présence pour vaincre la solitude. Ils ont simplement besoin d’amour. » Pape François

Aline RACHEBOEUF, Christophe PAREL, Delphine DUMONT, Bruno BOURDEAU (équipe du service com de l’UDV).


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