Prendre soin des exilés

« Oh ! Ma patrie si belle et perdue !
Oh 
! Souvenir à la fois cher et fatal !…
Harpe d’or des anciens prophètes,
ranime dans le cœur la mémoire du temps qui n’est plus… »

Telle est la traduction du célèbre « Va pensiero… » de Verdi, air célébrissime chanté par les Hébreux en exil à Babylone sous la domination de Nabuchodonosor, alias Nabucco.

L’air en est si beau que l’on en oublie les paroles… pourtant d’actualité depuis quelques années, notamment 2013 lorsque le monde découvrit l’arrivée des exilés sur le sol de l’île de Lampedusa, et que le Pape François s’y rendit en personne pour lancer un cri d’alarme à l’Europe…

On pourrait aussi évoquer l’épopée du « Président Warfield », rebaptisé « Exodus 47 » où 4.500 passagers juifs embarquèrent sur ce bateau prévu pour 700. Parti de Sète en juillet 1947 à destination de la Colombie, le navire vira de bord et fit route vers la Palestine. Rivé au cœur de ces passagers, l’espoir de la Terre Promise les emmena pendant 3 mois de port en port jusqu’au mois de septembre où ils débarquèrent à Hambourg.

« Etre en exil, écrit Gilles Rebêche, c’est être loin de chez soi, contraint au déracinement, à un déplacement vers un ailleurs loin de son pays d’origine. » Et il poursuit :

« Prendre soin des exilés, c’est la vocation de tous ceux qui refusent de s’enfermer dans l’entre-soi… ».

Naissance d’Exil & Humanisme

C’est ainsi qu’il y a un peu plus d’un an, le 8 avril 2017, est née l’association Exil & Humanisme, prochainement partenaire de l’Union Diaconale du Var. Initiée par Fabienne Mainardi (médecin ayant passé beaucoup de temps à Médecins du Monde), elle a pour objectif premier d’aider les personnes en situation d’exil à se loger.

« Animer un réseau local et citoyen afin de trouver des solutions concrètes en faveur et avec les exilés, pour répondre à des demandes de simple humanité (se loger, se soigner, se nourrir…)», voilà le leitmotiv de l’association.                                              

Dans ce cas précis, ce sont les hommes dont il s’agit, car les femmes, seules ou accompagnées d’enfants, sont secourues en priorité par les structures d’accueil. Restent les hommes seuls qui se retrouvent à vivre dans la rue pendant la période d’attente concernant la réponse à leur demande d’asile.

Le statut de réfugié auquel ils aspirent leur permet de chercher du travail, sinon, ils doivent retourner dans leur pays d’origine.

La période d’attente « temporaire » peut aller de 6 mois à 2 ans : pour procurer à l’exilé la possibilité de vivre autrement que dans la rue, Exil & Humanisme a opté pour des logements en colocation. Le « vivre ensemble » paraît ainsi moins lourd que la solitude et l’indifférence.

Pendant cette période charnière de leur vie, après des périples mouvementés, ces hommes peuvent se reconstruire, se préparer à travailler et à retrouver une existence proche de la normale. Proche, bien sûr et seulement, car il restera toujours l’éloignement d’avec le pays, la famille et tout ce qui faisait « la vie avant ».

On avait des noms, des façons de parler, de chanter et d’écrire… Mais le but du voyage a suffi à leur faire accepter tout ce qui pourrait arriver…

5 appartements mis à disposition

Une agence immobilière bienveillante a donc accepté le défi et l’association se porte garante, assurant paiement des frais d’agence, caution et taxe d’habitation.

A ce jour, il y a 5 appartements mobilisés : 4 sont loués, le cinquième, à Saint Jean du Var, est destiné en plus à l’accueil, les réunions et les cours de français langue étrangère (FLE).

Ce parc immobilier permet de loger 10 exilés : 4 guinéens, 3 albanais et 3 afghans.

Cependant, dès le mois de septembre 2017, une première réunion entre locataires et membres du bureau a fait apparaître des souhaits autres que l’hébergement : accès à l’alimentation, aux soins… et apprentissage du français, besoin primordial pour se débrouiller au quotidien.

Ces cours de FLE ont été mis au point par une bénévole professeure de français qui a assuré quelques heures de formation auprès des autres bénévoles. L’image parle au cœur autant qu’à l’esprit, elle est rapprochement.

Un cahier de liaison permet à tous de suivre l’évolution et les progrès des apprenants. Une douzaine de bénévoles évolue dans cet univers particulier, chacun y apportant sa touche personnelle, découvrant petit à petit l’esprit d’équipe et les joies de la rencontre, et partageant la richesse que l’on trouve dans la différence.

Puis, un partenariat avec les Amis de Jéricho a donné un accès hebdomadaire aux produits alimentaires redistribués ensuite dans les divers appartements.

Une activité football est également intégrée et elle est animée par un jeune pris en charge par la Fondation Barthelon. Cette Fondation a été créée au XIXème siècle sous le nom de « Société de Protection pour l’Enfance Maltraitée et Moralement Abandonnée ». Elle accueille actuellement 80 enfants, garçons et filles âgés de 3 à 18 ans.

Enfin, un site web a été récemment ouvert pour mieux faire connaître Exil et Humanisme.

« Passer de l’amour affectif à l’amour effectif » – St Vincent de Paul

Chaque climat de notre planète façonne les hommes à son image : Afghan, Albanais, Guinéen… ou Provençal… aucun ne ressemble à l’autre. Chacun a un chemin qui lui est propre et l’on ne peut couler tout le monde dans le même moule. C’est ce qui rend peu facile le cheminement avec ces personnes arrivant de tous les bouts du monde.

Un fait est certain : une fois parvenus au terme de leurs pérégrinations, la plupart des exilés ont un but majeur : faire venir leurs proches. Pour cela il leur faut gagner l’argent du voyage, et pour gagner cet argent, il faut travailler… et pour travailler, il faut se familiariser avec la langue française !

 

Toute une série de cercles  – vicieux ou vertueux – qu’ils doivent rompre à tout prix. Pour beaucoup d’entre eux, analphabètes chez eux, cet apprentissage passe au second plan, ils vont se contenter de l’élémentaire, juste ce qu’il faut pour se débrouiller un peu.

Pour tout exilé, une fois passée l’expérience de la traversée du désert, de la faim, de la violence, de la mort de compagnons de voyage, la première envie ne peut être que le retour à un semblant d’existence.

Attitude ô combien humaine… fermons les yeux quelques secondes et imaginons-nous dans une situation identique…

Nous savons que les demandeurs d’asile comparent les législations en vigueur avant de choisir le pays où ils vont se rendre une fois terminées toutes les traversées dangereuses.

Cela s’appelle le « benchmarking » : c’est humain et explicable de se poser des questions sur la plus ou moins grande générosité des pays d’accueil.

C’est humain que chacun recherche et analyse ce qui va être le meilleur pour lui et les siens quand il pourra les faire venir.

Etre ensemble

Pour Fabienne Mainardi et son équipe, les rencontres doivent être de vraies occasions d’écoute et de contact, laissant de côté tous les préjugés et les considérations négatives sur ces « voyageurs » peu ordinaires.

Samedi 23 juin, un pique-nique pour tous était organisé au Mourillon, à Toulon. Le partage d’un repas, c’est un moyen formidable pour vivre un moment de détente et de vraie communion, pour être ensemble.

L’affirmation de la dignité humaine de tous doit passer avant tout le reste. Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer : quatre verbes que le Pape François a donnés pour seule et unique réponse à la construction du monde d’aujourd’hui.

« Soyons toujours plus prompts pour chercher à rendre à qui l’a perdue, l’espérance dont il a besoin pour vivre », disait-il récemment.

C’est la mission que se donne Exil & Humanisme depuis sa création au service de ceux qui ont failli perdre la vie et qui la retrouvent peu à peu.

Comme le dit un Slam récent de Grand Corps malade :

 « Quand on renaît une seconde fois, tout a le goût des premières fois ».   

Aline Racheboeuf, auteure bénévole à Iota.                   

Contact pour devenir bénévole ou faire un don : http://exil-humanisme.fr/


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