« Alors, je suis d’accord pour en parler »

Tandis que la participation des personnes accueillies au sein des associations membres est une préoccupation majeure de l’UDV et de son réseau, en atteste le séminaire du 13 octobre dernier qui a réuni plus de 160 personnes, un témoignage sonne comme une providence : celui d’Amadou Diané, autrefois accueilli aux Amis de Jéricho – UDV devenu aujourd’hui un salarié de l’association.

Cela fait un peu plus de trois ans qu’Amadou Diané a posé le pied sur le sol français. C’était le 27 juin 2017. Après un périple dont il préfère taire les détails. C’est son choix, et nous le respecterons ici. Le jeune homme ne veut pas s’étendre sur les raisons qui l’ont poussé à fuir sa Guinée natale ni sur les épreuves qu’il a dû traverser pour arriver jusqu’ici. Le souvenir est douloureux. Le récit compliqué. Précisons seulement qu’il a fui un régime, celui du président Alpha Condé, en poste depuis 2010 et tout fraîchement réélu en octobre dernier. Des élections dont la régularité a été une fois de plus contestée par l’opposition. Précisons enfin qu’il a dû traverser de nombreux pays, durant plusieurs semaines, dans les conditions que l’on peut, malheureusement, imaginer…

Regarder devant

Si Amadou Diané reste discret sur ces épisodes de sa vie, c’est aussi parce qu’il préfère insister sur d’autres. Ceux qui lui permettent de regarder devant. Ceux qui construisent un avenir qu’il veut plus radieux qu’un passé douloureux. « Si ce qui m’est arrivé peut inspirer ceux qui vivent la même chose que moi, alors je suis d’accord pour en parler », nous dit-il fermement, dès nos premiers échanges. Raconter d’accord. Mais pas pour rien. Ce témoignage, à l’heure ou l’Union Diaconale du Var et ses associations membres accentuent leurs efforts sur la participation des personnes accueillies, sonne comme une providence. « Je suis arrivé par la Méditerranée, précise simplement Amadou Diané. Le CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile, N,D,L,R) m’a pris en charge et le 115 m’a parlé de Promo Soins et des Amis de Jéricho. Plusieurs associations et centres m’ont aidé : L’étape, l’association L’autre c’est nous, Les Mimosas à Hyères, Exil et Humanisme à Toulon, j’ai aussi vécu chez une famille d’accueil à Ollioules et je me suis présenté à Jéricho. Comme tous les accueillis, j’ai bénéficié de la bagagerie et des repas. Mais moi je ne payais pas ! (30 centimes d’euros par repas sont demandés aux personnes accueillies, N,D,L,R). Je ne pouvais pas payer mais je ne voulais pas de ce traitement de faveur. Je suis allé très vite demander ce que je pouvais faire pour aider en retour ».

Donnant-donnant

« Amadou a toujours été dans une démarche de donnant-donnant, explique Barbara Kervadec, la directrice des Amis de Jéricho – UDV. C’est très ancré chez lui. Il nous demande constamment ce qu’il peut faire pour nous ». C’est d’abord aux jardins de La Castille qu’Amadou se montre utile. Avant de se lancer dans une participation plus en accord avec ses compétences. Car le jeune homme a quitté la Guinée avec un BTS en informatique en poche. Laissant derrière lui un emploi et un projet de création d’entreprise en cours. « Oui je travaillais en Guinée. Avec un ami nous étions même en train de nous lancer dans l’assistance et le dépannage informatique à domicile ou chez les entreprises. C’est ce qu’il faut bien comprendre. Je n’avais pas l’habitude de tendre la main. J’ai toujours travaillé ». Arrêtons-nous un instant sur ce détail qui n’en est pas un : les réfugiés, ceux de la rue comme les autres, ont souvent quitté emploi, famille, situation professionnelle, pour malheureusement rejoindre la précarité. A Jéricho, on confie vite la salle informatique à Amadou. « Il y avait un besoin, se rappelle le jeune homme. Un besoin d’accompagner les personnes accueillies dans leurs démarches en ligne. Beaucoup de choses se font par Internet aujourd’hui mais comment faire quand on est à la rue ? Trois ordinateurs étaient actifs et j’en ai remis sur pied d’autres pour qu’il y en ait six de disponibles. Comme ça je peux aider pour les démarches en ligne mais aussi mettre à jour les CV, les lettres de motivation. Cela aide aussi les personnes accueillies à communiquer avec leurs familles ».

D’accueilli à accueillant

D’accueilli, Amadou Diané est donc devenu bénévole puis salarié. Engagé via un contrat aidé de 30 h par semaine signé le 1er septembre dernier. « Cela fait un accueilli de moins », glisse-t-il avec le sourire. Reste la réalité de la vie quotidienne à l’association. Comment Amadou est-il perçu ? « On pouvait légitimement se poser la question de ce passage accueilli-accueillant mais tout se fait naturellement, confie Barbara Kervadec. Amadou est très intelligent et a un très bon rapport avec les autres. Cela n’a posé aucun problème ». « Les accueillis d’aujourd’hui savent que j’en étais un autrefois, appuie l’intéressé. Ils m’ont vu traverser cette ligne. Pour eux, cela devient concret et possible. La démarche, elle est aussi dans la tête. Il faut rouvrir cette barrière invisible qui se ferme quand on bascule dans la rue. On peut avoir l’impression que plus rien n’est possible alors que c’est faux ». L’exemple devient alors source d’inspiration. À tous les étages. « C’est quand on voit des destins comme celui d’Amadou qu’on prend la mesure de notre mission et de son utilité. Cela fait du bien d’être témoins d’un parcours comme celui-ci », estime Pierre Goberville, directeur des services de l’UDV. Amadou Diané n’est toujours pas retourné en Guinée. Il l’envisage, sans que cela soit une priorité. Son avenir s’inscrit ici. Après son premier contrat de travail, il vient tout juste d’emménager dans son premier appartement. Avant la signature de son premier bail, il nous en parlait avec des étoiles dans les yeux. Cette clef glissée pour la première fois dans la serrure d’un chez lui, en France, renvoie au chemin parcouru, à tellement de galères, tellement de sacrifices, tellement d’horreurs de trop près côtoyées. Tout cela est derrière lui. Et le futur s’écrit, lettre après lettre, ligne après ligne. Alors oui, Amadou, ce qui t’es arrivé peut inspirer ceux qui vivent la même chose que toi. Merci d’avoir été d’accord pour en parler.


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